• Nenhum resultado encontrado

Efficacité des capacités de régulation émotionnelle dans le vieillissement

Chapitre IV Modèles émotionnels appliqués au vieillissement

2. Le modèle dit du « contrôle cognitif »

2.3. Efficacité des capacités de régulation émotionnelle dans le vieillissement

Selon le modèle du « contrôle cognitif », les effets de positivité se justifieraient par la mise en place « par défaut » de processus de régulation dans le traitement de l’information émotionnelle. Néanmoins, pour que cette hypothèse soit valable, une préservation et une efficacité des processus de régulation émotionnelle avec l’âge sont supposées.

De nombreuses études issues du domaine de la psychologie sociale ont montré de meilleures capacités de régulation émotionnelle avec l’âge (Carstensen et al., 2000; Gross et al., 1997; Lawton, Kleban, Rajagopal, & Dean, 1992; Magai, Consedine, Krivoshekova, Kudadjie-Gyamfi, & McPherson, 2006; Mroczek, 2001). Par exemple, selon une étude de

72

Kliegel, Jäger, & Phillips (2007), les personnes âgées retrouvent plus rapidement une humeur positive après une induction émotionnelle négative par rapport aux jeunes. Cette régulation émotionnelle accrue permettrait, entre autres, aux personnes âgées d’être moins facilement distraites que les personnes jeunes par des événements stressants de la vie quotidienne (Susan Turk Charles & Almeida, 2007) ou par des conflits interpersonnels (Birditt, Fingerman, &

Almeida, 2005), d’avoir plus de facilités à se détacher d’expériences négatives de la vie quotidienne et d’être moins sujettes à des pensées négatives de type rumination mentale (Phillips et al., 2008).

Dans le cadre d’études issues de la psychologie cognitive, Scheibe & Blanchard-Fields, (2009) montrent que les processus de régulation sont cognitivement moins couteux pour les sujets âgés que pour les sujets jeunes. Dans leur expérience, les auteurs ont proposé, aux participants jeunes et âgés, la réalisation d’une tâche de mémorisation après une induction émotionnelle de dégoût (induction par « clips » vidéo). Diverses consignes de régulation émotionnelle ont été données aux participants. Les résultats montrent que les personnes âgées ont de meilleures performances mnésiques lorsqu’ils ont pour consigne de « diminuer l’émotion » que lorsqu’ils ont pour consigne de « maintenir l’émotion », alors que le pattern inverse est observé chez les sujets jeunes.

Plusieurs études de neuro-imagerie ont permis d’investiguer la manière dont les corrélats neuronaux sont modulés par les consignes explicites de régulation émotionnelle, à faire pendant ou après l’apparition d’images négatives. Des patterns semblables chez les sujets jeunes et âgés ont été rapportés lors de ces demandes explicites de régulation émotionnelle, en accord avec les modèles actuels de régulation (Ochsner & Gross, 2005). Plus spécifiquement, une diminution significative de l’activité amygdalienne a été observée durant la condition

« régulation » par rapport à la condition de simple perception (Urry et al., 2006, 2009; Van Reekum et al., 2007; Winecoff, Labar, Madden, Cabeza, & Huettel, 2010). Certaines de ces études ont également rapporté une augmentation d’activité du cortex préfrontal (Heather L Urry et al., 2006; Winecoff et al., 2010). L’une de ces études, comparant directement des participants jeunes (19 à 33ans), et âgés (59 à 73ans), lors d’une tâche de régulation émotionnelle de scènes naturelles négatives, suggère une préservation des processus et des structures mises en jeu dans la régulation émotionnelle avec l’âge (Winecoff et al., 2010). En effet, l’activité des cortex préfrontaux dorso-latéral et dorso-médian et de l’amygdale, ainsi que la connectivité fonctionnelle entre le cortex préfrontal latéral et l’amygdale, sont modulées de manière similaire pour les deux populations.

73 Ces études comportementales et de neuro-imagerie permettent donc de supposer que les capacités de régulation émotionnelle et les structures cérébrales fonctionnelles impliquées sont préservées avec le vieillissement. Néanmoins, il faut rappeler, au regard des travaux de Gross (1998) sur la régulation émotionnelle, que cinq stratégies de régulation sont possibles selon son modèle (voir chapitre II). Ceci nous amène donc à nous interroger sur les liens entre capacités de régulation émotionnelle et stratégies de régulation avec l’âge. Comme nous allons le voir, certaines stratégies de régulation seraient privilégiées au sein de la population âgée dans le but de potentialiser leur bien-être.

Modification des situations

Aucune donnée concernant la stratégie dite de « modification des situations » n’est actuellement disponible, les contraintes expérimentales (en termes de moyens et de méthodes) limitant sa mise en place. En effet, une étude de la stratégie de « modification de la situation » imposerait de laisser au participant une marge de manœuvre importante afin qu’il puisse modifier la situation à sa guise, ce qui ne manquerait pas de complexifier la mise en place du contexte expérimental et de son contrôle.

Sélection des situations

Concernant la stratégie de « sélection des situations », plusieurs études sur la base de questionnaires ont montré que les adultes âgés ont une certaine propension à éviter les situations sociales négatives, soit en se retirant quand elles se présentent ou encore en restant en marge des zones de conflits, c’est-à-dire en évitant d’y entrer (Birditt & Fingerman, 2005;

Blanchard-Fields, Mienaltowski, & Seay, 2007; Charles, Piazza, Luong, & Almeida, 2009;

Coats & Blanchard-Fields, 2008). Cette stratégie serait probablement une des stratégies les plus utilisées par les personnes âgées pour maintenir un certain niveau de bien-être, notamment par le faible coup cognitif que représente sa mise en œuvre (Urry & Gross, 2010).

Par ailleurs, cette stratégie s’avèrerait très efficace pour les personnes âgées, car elles possèdent de meilleures capacités d’anticipation et de prédiction de leur ressentis émotionnels (Nielsen, Knutson, & Carstensen, 2008).

Suppression et amplification des réponses physiologiques et motrices

Dans une étude concernant 48 participants jeunes (18-28ans) et 47 participants âgés (60 à 85ans), Kunzmann et collaborateurs (2005) ont testé leurs capacités de suppression et

74

d’amplification des réponses physiologiques et comportementales suite à la présentation de trois vidéo clips d’une minute induisant principalement du dégoût. Dans la condition de

« suppression », les participants avaient pour consigne de ne pas montrer leurs expressions émotionnelles, comme s’ils voulaient les cacher à une éventuelle personne qui les regarderait en train de visionner le film. A l’inverse, la condition d’ « amplification » demandait aux participants de rendre plus saillantes leurs expressions émotionnelles. Une condition contrôle était également proposée dans laquelle les participants devaient simplement regarder la vidéo.

L’expressivité émotionnelle était évaluée, pour ces différentes conditions, en combinant des mesures de mouvements corporels et faciaux (enregistrées à l’aide d’une caméra), et des mesures électrophysiologiques telles que la réponse électrodermale et le rythme cardiaque.

Dans la condition contrôle, l’analyse des résultats a montré des réactions moins intenses pour les personnes âgées comparativement aux personnes jeunes, suggérant l’existence d’effets de positivité « par défaut » (Figure 14). Cette même analyse a montré que, lors des conditions de suppression et d’amplification émotionnelle, les deux groupes manifestaient une expressivité similaire, suggérant des capacités de régulation équivalentes. Il est à noter toutefois que les personnes âgées déclarent avoir trouvé la condition de suppression plus facile que la condition d’amplification, contrairement au groupe plus jeune. Une autre étude réalisée par Phillips et collaborateurs (2008), utilisant le même paradigme que Kunzmann et collaborateurs (2005), confirme les résultats sur les capacités de suppression de la réponse émotionnelle et les généralise à d’autres situations négatives que celles provoquant le dégoût.

Figure 14: Intensité globale de la mesure combinant les réponses motrices (faciales) et les réponses physiologiques moyennes (réponse électrodermale, rythme cardiaque) en fonction de l’âge et des conditions de régulation. Extrait de Kunzmann (2005)

Suppression Contrôle Amplification

75 Bien que ces études montrent que les deux populations arrivent à un résultat similaire lors d’une régulation du type « suppression » ou « amplification émotionnelle », Emery et Hess (2011) ont évalué le coup cognitif de ce type de tâches afin de vérifier si les deux populations sont équivalentes en termes d’efficience dans la mise en œuvre de ce type de stratégies de régulation émotionnelle. Les auteurs ont donc proposé un paradigme de double tâche : une tâche de mémorisation d’images à réaliser en même temps qu’une tâche de suppression émotionnelle. L’étude a montré que l’ajout d’une tâche de suppression ne provoque pas de baisse de performances en mémoire chez les sujets âgés contrairement aux sujets jeunes.

L’inhibition des mouvements faciaux pour les sujets âgés seraient donc moins coûteuse cognitivement, et laisse suggérer de meilleures capacités de régulation avec l’âge.

Néanmoins, selon une étude de John et Gross (2004), réalisée chez 106 participants sur la base d’un questionnaire portant sur la régulation émotionnelle, les individus âgés utiliseraient moins fréquemment la « stratégie de suppression » que les sujets plus jeunes et privilégieraient plutôt la « réévaluation cognitive » pour réguler leurs émotions. Ces mêmes auteurs suggèrent, par ailleurs, qu’une utilisation plus fréquente de la suppression émotionnelle serait associée avec un plus faible niveau d’affects positifs et de satisfaction de la vie, mais aussi avec un plus haut niveau d’affects négatifs et de symptômes dépressifs. Au regard de ces résultats contradictoires et d’observations faites par John et Gross (2004), la stratégie de suppression émotionnelle ne semble pas concorder avec l’augmentation du bien- être dans la population âgée.

La réévaluation cognitive

Plus récemment, Shiota et Levenson (2009), en utilisant les mêmes stimuli et la même procédure d’induction que les études de Phillips et collaborateurs (2008) et Kunzmann et collaborateurs (2005), ont comparé de nouvelles conditions de régulation de l’émotion à la condition de suppression. Dans une de ces nouvelles conditions, les participants devaient adopter une attitude de détachement émotionnel, autrement dit, regarder le film le plus objectivement possible. Dans une autre condition dite de « réévaluation positive », les participants devaient penser aux aspects positifs de ce qu’ils étaient en train de voir. L’analyse des réponses physiologiques et comportementales a montré que, comparativement aux personnes jeunes, les personnes âgées ont de meilleures aptitudes à réévaluer positivement les situations et de moins bonnes aptitudes à s’en détacher émotionnellement. En revanche, leurs

76

aptitudes à supprimer leurs émotions semblent comparables à celles des jeunes ; confirmant ainsi les résultats de Phillips et collaborateurs (2008) et Kunzman et collaborateurs (2005).

L’effet de l’âge sur la réévaluation cognitive a aussi été étudié en neuro-imagerie. Une étude de Van Reekum et collaborateur (2007), mêlant IRMf et occulométrie, a évalué chez 19 participants âgés (61-65ans), l’effet d’une « réévaluation volontaire de la situation» et d’une condition contrôle de perception passive sur les corrélats neuronaux et l’orientation du regard lors de la présentation d’images de l’IAPS. Par rapport à la condition contrôle passive, la tâche de réévaluation volontaire a induit une plus grande activité dans le cortex préfrontal, dans le précuneus, le lobe pariétal supérieur et le cortex cingulaire postérieur, conformément aux résultats de diverses études sur la régulation émotionnelle (Miller & Cohen, 2001;

Ochsner & Gross, 2005; Ochsner et al., 2004; Urry et al., 2006). Les analyses centrées sur les fixations oculaires, ont montré, par ailleurs, que la variance de l’activité du cortex préfrontal (à l’exception du cortex ventro-latéral gauche) peut être principalement expliquée par le nombre, la durée et la distance entre les fixations. Le pourcentage de variance expliquée par ces mesures va de 35% à 78% selon les aires cérébrales préfrontales et les conditions impliquées. Ce résultat suggère que les sujets âgés réduiraient leurs émotions négatives lors de la réévaluation cognitive en diminuant leur temps de regard sur l’information émotionnelle négative en cherchant les zones plus positives. Sur la base de ces résultats, il a alors été supposé que l’augmentation d’activité dans le cortex préfrontal lors d’une tâche de régulation émotionnelle chez les sujets âgées, telle que celle réalisée par Van Reekum et collaborateurs (2007), serait plutôt la conséquence d’un redéploiement attentionnel que celle d’une réévaluation cognitive des situations (telle que définie par Gross, 1998) (Opitz, Rauch, Terry,

& Urry, 2012; Van Reekum et al., 2007).

Cette hypothèse semble être confortée par une étude IRMf menée par Opitz et collaborateurs (2012). Ces auteurs ont utilisé le paradigme validé d’Urry et Gross (2010) qui permet d’évaluer spécifiquement la stratégie de régulation par réévaluation cognitive en contrôlant la stratégie de régulation émotionnelle mise en place par les participants (Figure 15). Pour chaque image, des zones d’intérêts émotionnelles ou neutres ont été définies. Lors de la présentation des images, les zones de non-intérêt ont été rendues moins visibles par l’application d’un masque blanc transparent. Les participants voyaient dans un premier temps les images entières, puis au moment même où le masque apparaissait, un bip sonore leur indiquait le début de la période de régulation de type « réévaluation cognitive », qui pouvait être soit dans le sens d’une augmentation, soit d’une diminution de l’émotion. Les participants

77 avaient pour consigne de fixer leur regard sur les zones d’intérêts. Ce paradigme permet de maintenir constant le déploiement attentionnel lors d’une consigne de type « réévaluation cognitive ». Le déploiement attentionnel ainsi contrôlé, le participant avait comme seul choix d’effectuer une réévaluation cognitive telle que définie par les théories de la régulation émotionnelle. Les résultats de cette étude (Opitz et al., 2012) réalisée en IRMf se sont centrés sur deux structures cérébrales très impliquées dans la régulation émotionnelle: le CPFDM et le CPFVL (voir chapitre II, 3. et 4.3.). Deux groupes d’une quinzaine de participants chacun d’âges différents ont été recruté (18 à 22 ans et 55 à 65ans). Par rapport à une condition contrôle (pas de régulation), les sujets jeunes ont montré une augmentation de l’activité du CPFVL et du CPFDM quelle que soit la condition de régulation (d’augmentation ou de diminution de l’émotion), alors qu’une diminution de l’activité a été observée pour les personnes âgées, suggérant une inefficacité à réguler les émotions. D’après cette étude, la capacité des personnes âgées à réévaluer les situations serait donc en réalité diminuée. De plus, l’analyse du ressenti subjectif demandé après chaque essai a montré que contrairement aux études précédentes (Kunzmann et al., 2005; Phillips et al., 2008), les sujets âgés sont moins efficaces pour diminuer l’impact émotionnel de situations négatives. Pour conclure, cette étude montre que les personnes âgées éprouveraient des difficultés à utiliser une stratégie de réévaluation pour diminuer l’impact d’émotions négatives.

Figure 15 : Protocole expérimental proposé par Opitz et collaborateurs (2012). Le masque blanc transparent permet de contrôler le regard du sujet afin qu’il ne puisse utiliser une stratégie de redéploiement

78

émotionnel dans une tâche de régualtion émotionnelle et de le contraindre à employer une stratégie de réévaluation cognitive.

Le redéploiement attentionnel

Avec la stratégie de sélection de situation , il apparait que la stratégie de redéploiement attentionnel serait la stratégie de régulation émotionnelle la plus utilisée chez les personnes âgées (Isaacowitz, Gershon, Allard, & Johnson, 2013; Opitz et al., 2012; Urry & Gross, 2010). Par exemple, toutes les études en oculométrie présentant des visages ou des images appariés montrent que le nombre et la durée des fixations oculaires sur les stimuli négatifs diminuent chez les personnes âgées, suggérant une réduction dans l’attention portée aux stimuli négatifs avec l’âge (Allard & Isaacowitz, 2008; Isaacowitz et al., 2008, 2006a;

Isaacowitz, Toner, et al., 2009; Knight et al., 2007; N. a Murphy & Isaacowitz, 2008). Dans certaines de ces études, cette réduction s’accompagne d’une augmentation de l’attention (regard) portée sur les stimuli positifs. Selon une étude d’Isaacowitz et collaborateurs (2009), ce redéploiement attentionnel, conduisant à un évitement du contenu négatif et privilégiant le contenu positif, serait une façon de réguler l’humeur et d’élever le niveau de bien-être.

Puisque ces études en oculométrie montrent des effets de positivité dans des conditions de perception simple des images (c'est-à-dire sans tâche particulière), et conformément à la théorie du « contrôle cognitif », cette stratégie de redéploiement attentionnel serait mise en place de façon inconsciente et automatique chez la personne âgée.