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CHAPITRE 2 – Culture, imaginaire et quotidien : entre le social rationnel moderne et la

2.4 L'interculturalisme comme une modulation pour le 'jeu de la différence'

A notre avis, si la distance culturelle est une réalité qui doit être affrontée par des institutions publiques de recherche agropastorale, telles que l'EMBRAPA et le CIRAD, qui développent des activités en dehors de leurs pays d'origine, l'invasion culturelle se présente comme un défi pour les acteurs sociaux concernés. Un défi imposé dans leurs vies quotidiennes du fait qu'ils sont chargés de donner corps à ces activités. Car, pour parler d'invasion culturelle il suffit qu'on soit témoin de la rencontre d'acteurs issus de cultures différentes où cette différence peut se présenter à plusieurs niveaux.

Dans le cadre de notre travail, nous faisons référence aux rencontres entre des cultures nationales distinctes (la brésilienne et la française face aux multitudes de cultures africaines); entre la culture organisationnelle (propre au CIRAD et de l'EMBRAPA) et la culture communautaire (propre aux peuples africains encore de nos jours) ; entre la culture scientifique (des institutions de recherche et des chercheurs qui y travaillent) et la culture traditionnelle (des paysans et des petits agriculteurs un peu partout et, peut être, plus prononcée en Afrique).

C'est à partir de ce défi représenté par l'invasion culturelle que nous voulons aborder la notion de coopération qui, dans le cas spécifique de notre travail, est encadrée par des échanges démarrés et gérés par des institutions gouvernementales de recherche agronomique.

2.4 L'interculturalisme comme une modulation pour le 'jeu de

Il est intéressant de noter, même en passant, que, parmi les différents courants autour du

multiculturalisme, la pensée unique et la logique de la domination ont gagné du terrain. Elle est représentée par une lignée nommée 'multiculturalisme conservateur colonial'155, selon laquelle, toutes les cultures, outre la culture eurocentriste blanche, sont inférieures. La culture eurocentriste serait universelle du fait même d'être un résumé de toutes les meilleurs pensées déjà produites dans le monde. Par conséquent, le multiculturalisme conservateur colonialiste prône l'assimilation.

À partir des critiques qui ont été formulées face à la notion de multiculturalisme, en général, comme celles qui le considèrent comme le visage moderne du racisme dans un monde capitaliste global, nous nous retrouvons au point de départ. Car, en effet, le multiculturalisme dans toutes ses

expressions est né, d'abord, de cette conception de la 'culture' – dont nous avons parlé au début de ce chapitre – comme « tout ce qu'il y de meilleur que l' humanité a produit selon les critères de valeurs, esthétiques, moraux et cognitifs auxquels, en définissant soi même comme universaux, suppriment la différence culturelle ou la spécificité historique des objets classifiés ». 156

La posture interculturelle, à la différence de la posture multiculturelle, est celle, alors, qui n'ignore pas les rapports de pouvoir présents dans les relations sociales et interpersonnelles en cherchant les stratégies les plus appropriées pour faire face à cette réalité.

Plus que reconnaître la complexité sociale dont nous parle Edgar Morin, comme le

multiculturalisme le fait, l' interculturalisme l'assume et l'affronte. Et ce dans la mesure où ses efforts vont dans le sens de promouvoir des relations dialogiques et égalitaires entre des personnes et des groupes qui appartiennent à des univers culturels différents.

Dans ce sens, l'interculturalisme va de paire avec les critiques avancées par Gilbert Rist que nous avons reprises dans le chapitre 1. Rist remet en cause la notion de développement en le dévoilant comme une croyance Occidentale Moderne et, comme telle, supposée universelle. L'approche interculturelle a, comme point de départ, le fait que la globalisation est la marche accélérée de la logique de la domination progressiste et développementale qui impose une seule culture, une seule façon de vie, un seul type d’économie partout dans le monde.

Les deux perspectives offrent une conception qui nie l'idée selon laquelle la trajectoire de l'humanité est une histoire linaire et unique, faites que d' avancées. Au contraire, la vision

anti-développementale de Rist, ainsi que les principes de l'interculturalisme, postulent que la marche de l'humanité est une trajectoire constituée de multiples chemins et basés sur les valeurs les plus distinctes. Existante par le passé, cette multitude de chemins est aussi possible pour le futur de cette marche de la humanité.157

Devant, alors, la réalité irréfutable de la distance culturelle (section 2.2) et le défi présenté par la tentation de l'invasion culturelle (section 2.3), l'interculturel peut être vu comme une troisième voie envisageable : en ayant, comme socle, une théorie de base dialogique (selon les termes de Paulo

155Cf. SOUZA SANTOS, Boaventura ; NUNES, J.A. Reconhecer para libertar. Os caminhos do cosmopolitismo multicultural. Rio de Janeiro: Civilização Brasileira, 2003. p. 11

156Traduit par l'auteur du portugais : « Definida como repositorio do que de melhor foi pensado e produzido pela humanidade, a cultura, neste sentido, assenta em critérios de valor, estéticos, morais ou cognitivos que, definindo-se a si proprios como universais, elidem a diferença cultural ou a especificidade historica dos objetos que classifica. » SOUZA SANTOS, Boaventura ; NUNES, J.A, (2003) op.cit. p. 27.

157Cf. FORNET-BETANCOUR, Raul. Teoria y praxis de la filosofia intercultural. RECERCA – Revista de pensamento e analise. N.10/2010. pp-13-34.

Freire), l'interculturel peut être établi dans la vie quotidienne des acteurs sociaux en tant que pratique communicationnelle.

Ainsi, on sort du domaine de la communication organisationnelle pour parler de la communication interculturelle en tant que pratique comportementale présente au quotidien. L'interculturalisme se concrétise, donc, par les actions des acteurs sociaux encadrés dans des contextes multiculturels (où plusieurs cultures sont en contact) très spécifiques. La communication interculturelle est vue, finalement, comme la posture réelle dans la vie officieuse des acteurs sociaux qui sont contraints par les impositions de l'aspect normatif stipulé par le cadre officiel auquel ils sont attaché.

Conclusion du Chapitre

En accord avec Maffesoli, nous traversons une crise (et pas dans le sens économique) du fait que nous vivons dans un moment de changement de polarité. L'auteur fait la distinction entre culture et civilisation. La première est fondatrice car non planifié et non pensée a priori. La culture est habitée par des figures incisives, inscrites et corporelles. La seconde, stable, se charge de gaspiller le trésor qui a été accumulé dans le grand et diversifié bouillon mijoté par la culture. La civilisation cherche à s'établir et à avoir de la permanence à travers de mécanismes de rationalisation et, par conséquence, elle est organisée, systématisée et figée.158

Ainsi, d'après Maffesoli, la crise dont nous témoignons est le signe d'une toute nouvelle culture qui, étant en pleine constitution, est en train de remplacer la « reconnaissance de soi » (selon Lacan) par

« l'évidence de l'autre », c'est-à-dire, la mise en évidence plus que jamais de l'altérité.

La conséquence épistémologique d'une telle évidence de l'altérité est « l'être avec » car c'est de là qu'est née la nouvelle reconnaissance de ce que serait « être dans le monde ».

Il s'agit, donc, d'une inversion : le point de départ pour voir le monde et pour «faire avec» n'étant plus le « moi » sinon que « l'autre ». D'après celle nouvelle manière de comprendre le monde, le

« moi » n'existe qu'à travers le groupe, le regard de l'autre et afin d'être vu par l'autre. À la place de l'autosuffisance nous avons la dépendance.

En revenant aux racines, Maffesoli nous parle, donc, de la logique de la Postmodernité, celle de la 'progressivité'. Il s'agit de la « métamorphose en cours. Cella nous faisant passer d'un progressisme (qui fut puissant, performant, mais qui devient quelque peu égrotant) en une progressivité

réinvestissant les ''archaïsmes'' (peuple, territoire, nature, sentiments, humeurs) … que nous avions cru dépasser. »159

En reprenant la notion de destin, la progressivité est forgée sur le principe du « je fais ensemble ».

Elle se distancie, ainsi, du principe du « je maîtrise », propre à la notion d' Histoire – manière de comprendre la marche des sociétés humaines en accord avec le progressisme typique de la Modernité.

158MAFFESOLI, Michel. Séminaire 2012-2013. Le dévoilement "adogmatique".

159MAFFESOLI, M. Matrimonium. (2010c) op. cit., p.11

Ainsi, au lieu de parler du « pourquoi » qui renvoie à la cause et à son effet, on commence à mettre en avant la relation et, par conséquent ce qui va de l'avant est le mouvement constant de 'va-et-vient'. Si l'Histoire est faite de drames et de solutions, avec une constante nécessité d' achèvement, le Destin est constitué de tragédies et problématiques, toujours en gardant une ouverture, sans se fier à une sorte de cosmologie finaliste. Il y a toujours différentes manières d'être dans le monde car la vie continue en prenant de nouvelles formes. Ainsi, si on peut parler de la fin de l'Histoire160, on ne parle jamais de la fin du Destin.

D'après cette logique de progressivité du destin, 'la vérité' n'existe pas parce qu'elle n'est qu'un processus, toujours un avenir. Ce qu'il y a, donc, ce sont des vérités ponctuelles, valables selon le moment, le contexte et les rapports divers. On laisse tomber la relativisation artificielle car elle ne fait que de la 'mise en relation', pour donner de la place au relativisme qui est plutôt de voir la relation qui existe déjà entre les choses – une relation qui a été et qui reste toujours là.

Le processus d' hybridation ne serait possible qu'en raison de ce relativisme vu par l'auteur comme la théorisation du métissage sociétal. La mestiçagem du peuple brésilien, dont nous parle Gilberto Freyre dans son ouvrage Casa Grande e Senzala161, en serait un exemple typique.

En un mot : le social rationnel de la Modernité est saturé et, dans un processus de changement de forme, devient le sociétal émotionnel de la Postmodernité. C'est la raison pour laquelle la

participation, une idée primitive, tribale (de faire partie d' un lieu ou d'une tribu, en ayant un lien quelconque) revient à l'ordre du jour en gagnant une place de remarque.

Si pendant la Modernité on a vu l'humanité réduite à l'homme, c'est-à-dire, à l'individu, avec la Postmodernité, on revient à quelque chose de plus originel, qui remonte aux sources de l'humanité, à ses racines. On ne peut plus comprendre l'environnement social sans le faire dialoguer avec l'environnement naturel, sans voir la relation entre eux. C'est ce que Maffesoli appelle « ecosofie » : l'accommodation, « le faire avec ».

Et c'est là qui les différences entre la vie qui est vécue (officieuse, de l'ordre de la nécessité) et la vie officielle (normative, de l'ordre des lois) vont se faire de plus en plus remarquer.

La Postmodernité est caractérisée par l' hybridation, par l'ambiguïté et par ubiquité selon la logique du « et »/« et », différemment du « ou »/ « ou » de la Modernité. Car si la Modernité repose sur le dualisme (sujet/objet depuis Descartes), la Postmodernité repose sur les interactions.

Ce qui compte de nos jours c'est la sympathie – le pathos, les sentiments. La modalité (être attentif à la manière dont les choses s'ajustent) comme façon de voir car, sans cette modulation, sans cet ajustement à ce qui est vécu, il n'y a pas de vérité. La connaissance ordinaire, qui part de

l'expérience vécue collectivement gagne, alors, à nouveau de la place.

En un mot « ce n'est plus le contrat rationnel qui est au fondement du vivre-ensemble, mais bien le pacte émotionnel qui a bien ses raisons, mais raisons que la raison ne connaît pas ! »162

160Qui ce soit avec Hegel ('La phénoménologie de I 'Esprit' – 1806), avec Marx ('Le capital' 1867) ou, plus récemment, Fukuyuama ('La Fin de l'Histoire et le dernier homme' – 1992).

161En France : FREYRE, Gilberto. Maîtres et esclaves. La formation de la société brésilienne . Collection Bibliothèque des Histoires, Gallimard, 1974. Traduction de Roger Bastide. Préface de Lucien Febvre.

162 MAFFESOLI, Michel. Le temps revient. Formes élémentaires de la postmodernité, Desclée de Brouwer, Paris, 2010b. p. 46.

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