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CHAPITRE 1 – Science, progrès et développement

1.3 Le développement comme une croyance occidentale

1.3.1 Le développement dans le cadre des relations internationales

C'est juste après la fin de la Seconde Guerre – et presque par hasard – que le terme développement assume le rôle principal sur la scène politique, voire intellectuelle, mondiale. C'est quand le

président des États-Unis, Harry S. Truman, pendant son Discours sur l’État prononcé en janvier 1949, qualifie ce que seraient les « régions sous-développées ».

Quatrièmement, il nous faut lancer un nouveau programme qui soit audacieux et qui mette les avantages de notre avancée scientifique et de notre progrès industriel au service de l’amélioration et de la croissance des régions sous-développées. Plus de la moitié des gens de ce monde vivent dans des conditions voisines de la misère. Leur nourriture est insatisfaisante. Ils sont victimes de maladies. Leur vie économique est primitive et stationnaire. Leur pauvreté constitue un handicap et une menace, tant pour eux que pour les régions les plus prospères. Pour la première fois de l’histoire, l’humanité détient les connaissances techniques et pratiques susceptibles de soulager la souffrance de ces gens49.

48Pour un regard critique sur les ONG à partir des contradictions entre leurs intentions humanitaire et leur rédemption à la logique de la marchandisation de l'aide au développement qui mets en relief le rôle des entreprises de communication et leurs stratégies de marketing, voir l'article PÉROUSE DE MONTCLOS Marc-Antoine, Du développement à l'humanitaire, ou le triomphe de la com' ., Revue Tiers Monde 4/2009 (n° 200) , p. 751-766 URL : www.cairn.info/revue-tiers-monde-2009-4-page-751.htm. DOI : 10.3917/rtm.200.0751.

Comme le clarifie Rist , le terme avait été déjà utilisé50 mais ça a été la première fois qu'il a été mentionné dans une situation avec un important potentiel de diffusion. Avec la courte, mais précise, définition de Truman du « sous-développement », le développement avait trouvé son contraire que, désormais, on pouvait lui opposer. Dans le vocabulaire politique courant, la dichotomie « sociétés civilisées versus sociétés primitives » a été remplacée par « pays développés versus pays sous-développés ».

Après les dommages infligés par les deux Grandes Guerres qui, dans l'intervalle de trois décennies, ont beaucoup affecté les populations et les économies des nations européennes, les efforts pour éviter de nouveaux conflits se sont traduits, à la fois, par la tentative d'augmenter le pouvoir

d'intervention des Nations Unies51 et par la création de nouveaux organismes internationaux, parfois issus de celles-ci.

Nous avons, donc, le Fond Monétaire International (FMI, créé en 1944) et l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (Otan, en 1949), par exemple. Issues de l'ONU, nous pouvons citer les

Commissions économiques pour l'Europe (la Cepe, créée en 1947) et pour l'Asie et l'Extrême Orient (qui est apparue aussi en 1947 mais qui a changé de nom, pour la Commission économique et Sociale pour l'Asie et le Pacifique, la Cesap). Et, en 1948, l'ONU a constitué la Commission économique pour l'Amérique Latine (la Cepal).

Des documents formulés ou de façon collective, ou de façon plus restrictive furent produits par ces organismes toujours en essayant de présenter, à la fois, le portrait des conditions de vie dans les pays sous-développés et des propositions pour les sortir d'une telle situation indésirable. Mais, selon la vision critique de Rist, que nous suivons :

Ainsi, à partir de 1949, plus de deux milliards d'habitants de la planète vont – le plus souvent à leur insu – changer de nom, être considérés « officiellement », si l'on peut dire, tels qu'ils apparaissent dans le regard de l'Autre et être mis en demeure de rechercher ainsi leur occidentalisation en profondeur au mépris de leurs propres valeurs ; ils ne seront plus Africains, Latin-Américains ou Asiatiques (pour ne pas dire Bambaras, Shona, Berbères, Quechuas, Aymaras, Balinais ou Mongols) mais simplement « sous-développés » […] contraints de cheminer sur la « voie du développement » tracée par d'autres qu'eux […].52

49RIST, Gilbert. (2013). op. cit., p.118. Traduit par l'auteur. Le texte original, en anglais, peut être vérifier, en ligne sur le site du Muséum et librairie Harry F. Truman : ''Fourth, we must embark on a bold new program for making the benefits of our scientific advances and industrial progress available for the improvement and growth of underdeveloped areas.

More than half the people of the world are living in conditions approaching misery. Their food is inadequate. They are victims of disease. Their economic life is primitive and stagnant. Their poverty is a handicap and a threat both to them and to more prosperous areas. For the first time in history, humanity possesses the knowledge and skill to relieve the suffering of these people..'' http://www.trumanlibrary.org/whistlestop/50yr_archive/inagural20jan1949.htm

50« […] le terme aurait été employé une premier fois en 1942 par un fonctionnaire du Bureau international du travail (BIT), Wilfred Benson, dans un article intitulé 'The Economic Advancemend of Underdevelopped Areas' (The Economic Basis for Peace, Londres, National Peace Council, 1942) ». RIST, Gilbert. (2013). op. cit., p. 137 note 8 à la fin de la page.

51L'origine de l'Organisation des Nations Unies (l'ONU) remonte à la SDN (voir note ci-dessus) qui avait échoué à assurer la paix entre les nations devant les offensives de Hitler qui, en 1939, ont fini pour conduire l'Europe à la Seconde Guerre.

52RIST, Gilbert. (2013). op. cit., p.148.

Avec la création d'une formule presque mathématique – le calcul du PIB, le Produit Intérieur Brut, un chiffre pour représenter toute la richesse produite par un pays – on a fait de l'économie le juge : désormais, toutes les nations et tous les peuples sont vus à travers les « lentilles » de l'économie. La condition de vie est saisie d'après un chiffre – le PIB – auquel on ajoute un adjectif –

sous-développé. Toute la diversité culturelle et d'autres aspects spécifiques du mode de vie de chaque communauté sont mis de côté : comme ils n'appartiennent pas au domaine de l'économie ils ne peuvent pas être simplifiés ou traduits par un chiffre.

De cette façon, pas à pas, le paradigme du développement a fini par être imposé comme une voie unique pour tous les pays. Les subtiles variations des changements d'interprétation du concept sont dévoilées par Gilbert Rist juste pour faire ressortir le socle économique sur lequel cette croyance est fondée. Avec la devise « plus est toujours mieux » sous-entendu, le développement a été pris comme le moteur à pousser la croissance du système de production et du modèle de vie basé sur la consommation.

Depuis la Seconde Guerre, ces sont les idées présentes dans chaque document produit par n'importe quelle institution internationale, n'importe quel gouvernement ou ONG, à travers n'importe quelle stratégie, même quand elles sont structurées selon des prémisses idéologiques opposées, comme le capitalisme libéral et le socialisme d'état.

Avec la création de plus en plus de nouvelles institutions chargées de promouvoir le développement, le monde « officiel » a imposé des mesures et un mode de vie basés sur un concept abstrait qui a été construit par eux, les politiciens, les diplomates, les experts, bref, les technocrates du pouvoir.

Généralement, ces idées étaient inspirées de l’œuvre de l'économiste et théoricien politique, Walt W.

Rostow, “Les étapes de la croissance économique” (“The stages of economic growth”) où il a présenté la théorie de la modernisation.

Mais, même les lignes de pensée alternatives à cette théorie-là, comme le néo marxisme aux États-Unis et la théorie de la dépendance Latino-américaine53, – qui basculaient, toutes les deux, vers le socialisme – restaient toujours alignées sur l'idée du développement comme chemin à suivre. Le fait d'être adopté par des idéologies opposées montre à quel point le développement a été produit comme une croyance : un système de partage de valeurs qui se met au-dessus de tous les autres.

Mais, comme l'affirme Rist, le fait que « dans de nombreuses sociétés, ce n'est pas la faible capacité productive qui limite la production, mais un refus de l'accumulation »54 indique que les valeurs qui sont chères à ces sociétés-là sont différentes de celles imposées par la vision

économique de la vie tels que les échanges basés sur l'argent, la consommation intensive et la production de l'excédent.55

D'un autre côté, il est impossible de nier que, à cause des moyens de communication et des facilités de déplacement des gens, le mode de vie occidental a été déjà suffisamment diffusé parmi presque toutes les populations de la planète. Le mode de vie urbain et les valeurs occidentales ont, donc, conquis des esprits et des cœurs même au sein de quelques communautés traditionnelles. C'est ce qui se passe, par exemple, avec plusieurs tribus indigènes au Brésil. Le défi pour ceux qui comptent établir des échanges avec ces communautés est encore majeur car le conflit entre la tradition et la modernité peut être constant.

53Pour plus de détails sur la Théorie de la Dépendance, voir le Chapitre 3.

54RIST, Gilbert. (1996). op. cit., p. 178.

55Cf. BAUDRILLARD, Jean. L’Échange symbolique et la mort. Paris, Gallimard, 1976.

Pour reprendre les mots de Rist :

La conversion – puisqu'il faut bien utiliser un langage religieux – ne consiste donc pas à échanger une croyance contre une autre, mais à préférer le savoir au croire, à regarder la réalité en face plutôt que s'accrocher à des illusions, à comprendre le monde tel qu'il est au lieu de l'imaginer tel que nous souhaiterions qu'il soit. 56

L'analogie qu'établit Rist avec la conversion religieuse indique clairement que la notion de développement est une notion relative et n'est pas une notion absolue. En voulant écarter

l'obscurantisme dominant au sein des modes de vie traditionnels, basés sur la croyance aveugle à des explications religieuses, le « scientificisme » et le technicisme propres à la Modernité ont fini par mettre en place un autre type de croyance aveugle : celle basée sur l'économie, le progrès et le développement. On change les dieux mais on reste des fidèles.

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