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CHAPITRE 1 – Science, progrès et développement

1.4 Le Postcolonialisme et le Postmodernisme : liens et distinctions ontologiques et

Du côté des études sur le développement, à cette période-là, Pauline Bend65 remarque l'existence de deux lignes de pensée qui s'opposaient aux premières idées en rapport avec le processus d'évolution des nations, toutes les deux d'inspiration marxiste : la première a été constituée par l' expansion des idées proposées par la théorie de la dépendance dont nous venons de parler. Dans son texte, Bend explique les points essentiels de cette théorie à partir de l'avis de l'économiste Égyptien, Samir Amin. La seconde ligne serait formée par le courant de l’impérialisme structurel, dont Arghiri Emmanuel est l’un des théoriciens

représentatifs, tout comme Gunder Frank.

Pourtant, Theotônio dos Santos, lui même, autre représentant de la théorie de la dépendance, dans un texte66 visant à la réviser, reprend d'autres points de vue, qui considèrent que cette pensée peut être divisée dans ces deux courants parmi les quatre ou cinq existant. Il existe quelques points de divergences au sein de la théorie ce qui permet d'effectuer plusieurs regroupements.

De façon générale, tandis qu'elle contient différentes lignes de pensée, cette théorie considère le

développement et le sous-développement comme le résultat de l'évolution historique du capitalisme. Le sous-développement serait une sorte de « développement dépendant », marqué par la dépendance des pays périphériques face aux capitaux étrangers et la centralisation du pouvoir économique des pays centraux.

La situation de sous-développement des pays du « Tiers-Monde » (qui restent comme sources de produits peu industrialisés et consommateurs des produits de haute technologie, par exemple) ne serait qu'une condition indispensable pour le développement des pays du « Premier monde » (qui profitent de la potentialité de croissance des pays sous-développés pour utiliser les capitaux accumulés après la fin de la Seconde Guerre Mondiale à travers l'implantation des industries sur leurs territoires, par exemple).

La théorie de la dépendance, avec cet aspect d'ordre, à la fois, économique et sociologique, fait partie des courants de pensée anti-hégémoniques apparus dans le domaine des Sciences humaines et sociales à partir des années 1960/70. La lignée la plus répandue parmi ces courants est celle du postcolonialisme, une vision épistémologique influente aussi pour les réflexions que nous menons tout au long de notre travail.

1.4 Le Postcolonialisme et le Postmodernisme : liens et

Mais il faut bien faire la distinction entre la pensée postmoderne présente dans notre travail à travers les idées avancées par Michel Maffesoli et le postcolonialisme dont nous allons traiter maintenant.

Même si les deux perspectives ne se confondent pas, elles ont en commun le fait de porter un regard critique sur la Modernité. C'est la raison pour laquelle nous prenons en compte, pour nos réflexions, ces deux courants de la pensée contemporaine.

Si le préfixe post de la postmodernité dont nous parle Maffesoli fait référence au dépassement de la Modernité, à travers un processus de saturation qui entame, à la fois, l'effondrement d'un monde – ou plutôt d'une manière de voir et d'être dans le monde – et la présentation d'un nouveau monde, ou bien des nouvelles façons de concevoir le monde et d'y être68, le même préfixe dans postcolonialisme a un sens au-delà de la simple succession chronologique linéaire qu'on pourrait supposer.

Le post du terme postcolonialisme remet en question les configurations d'ordre discursif responsables de l’attribution d'un sens aux relations hiérarchiques, configurations qui sont,

historiquement, les sujets auxquels les Sciences sociales et humaines se sont consacrées. De même, le sens de colonialisme de l'expression 'postcolonialisme' veut dépasser le sens de domination géographique en prenant en considération les situations d'oppression les plus distinctes comme celles qui sont relatives aux questions de genre et d’ethnie, par exemple.

Avec ses propositions sur ce qui constitue la postmodernité, sans parler d'un système théorique politique qui la remplacerait, Michel Maffesoli critique la logique de la domination responsable de la construction de la Modernité.69

Et, comme l'explique le brésilien Sergio Costa dans un article consacré à la contribution du postcolonialisme dans le domaine de la sociologie, les études englobées dans cette nomination

« gardent, en tant que caractéristique commune, l'effort pour esquisser, à travers la méthode de déconstruction des essentialismes, une référence épistémologique critique aux conceptions dominantes de la Modernité.70

Ainsi, si d'un part, les critiques avancées par Maffesoli et celles trouvées dans les études du postcolonialisme sont formulées sur des bases différentes et à partir de points de vue divergents, elles ciblent le même point nodal : les éléments constitutifs de la pensée moderne.

Profondément humaniste comme d'ailleurs le sont aussi les postmodernistes, les postcolonialistes se distinguent, aussi de ceux-ci par un activisme et un parti-pris normatif sur la nécessité de

comprendre et d’agir sur un monde en mouvance dans un projet de l’ordre de l'émancipation71.

68Cf. MAFFESOLI, Apocalypse (2009) op. cit., quand l'auteur parle du processus de ruine qui apporte en soi la semence du renouvellement : l'effet pervers (heterorelia).

69Conscientes du fait qu'il existe différentes propositions à propos de ce qui serait la postmodernité, y compris avec l'utilisation de termes distincts, comme modernité tardive ou contemporanéité à ce point de notre travail, pour marquer la distinction entre postmodernité et postcolonialisme, nous nous limitons à faire le point sur la conception de postmodernité proposée par Michel Maffesoli dont nous suivons la pensée.

70Traduit de l'original en portugais : « Os estudos pós-coloniais não constituem propriamente uma matriz teórica única.

Trata-se de uma variedade de contribuições com orientações distintas, mas que apresentam como característica comum o esforço de esboçar, pelo método da desconstrução dos essencialismos, uma referência epistemológica crítica às concepções dominantes de modernidade. » in COSTA (2006).

71Cf. BENESSAIEH (2010) op. cit.

La critique postcoloniale a la vocation d'être une critique plus radicale car elle est formulée par les sujets placés au sein même des histoires et des héritages coloniaux72. Ainsi, la théorie de la

dépendance, dont nous avons parlé dans la sous-section précédente, garde un biais postcolonialiste dans la mesure où, parmi ceux qui ont contribué à sa constitution, on trouve certains économistes et sociologues originaires des ex-colonies.

Parmi les ouvrages incontournables, quand on parle du postcolonialisme, on trouve “Orientalism”, de Edward Said, publié en 1978, qui a été le premier à attirer l'attention sur le fait que les valeurs postulées par l'Europe ont servi de base à la construction de l'idée d'un Occident auquel s’opposerait l'Orient. Les réflexions de Stuart Hall dans son ouvrage Ouest/Rest suivent les même principes selon lesquels les valeurs prônées par les sociétés de l'Europe moderne occidentale ont été prises comme les modèles face auxquels toutes les autres sociétés étaient considérées inachevées, incomplètes, occupant toujours l'endroit symbolique de l'infériorité.

Au-delà de faire référence aux localisations géographiques, ce dualisme dévoile une façon de parler de 'nous' face aux 'autres', c'est-à-dire, tous ceux qui ne sont ni 'nous', ni comme nous. La pensée de Gilbert Rist à propos de la construction du développement comme une croyance occidentale dont nous avons parlé plus tôt, suit cette lignée critique inaugurée avec Saïd et problématisée aussi par Stuart Hall, parmi d'autres auteurs.

Pour les études postcolonialistes, en plus de s'occuper des relations établies par le passé entre les peuples en tant que dominateurs et dominés, il s'agit plutôt de dévoiler les mécanismes qui ont contribué à la formulation des discours à propos de cette domination, y compris le discours

scientifique. Avec ce nouveau cadrage analytique, on identifie le biais colonialiste du processus de production de connaissance au sein même des sciences humaines et sociales.

Le raisonnement typique pour les études appartenant au postcolonialisme se présente comme une réponse aux besoins de repenser et re-conceptualiser les concepts, eux mêmes, qui, jusque là, expliquaient le monde à travers la division entre régions et peuples chrétiens et païens, civilisés et barbares, modernes et pré-modernes, développés et sous-développés. Ces études gardent en commun la prétention de faire une plan global des différences coloniales.73

Dans l'éventail d'approches réunies par les études postcolonialistes on peut distinguer trois vagues : l'orientalisme, le 'subalternisme' et le cosmopolitisme74. Ainsi, si la production du postcolonialisme prime par l'éclectisme d'auteurs issus d’affiliations théoriques diverses, on peut identifier des orientations majeures qui sont, normalement, mises en avant par les études encadrées dans cette ligne de pensée telle que

la critique de l’eurocentrisme, l’intérêt pour les régions anciennement colonisées ou le monde en

développement, la priorité analytique donnée aux acteurs subalternes ou invisibilisés, l’importance de la figure du migrant, et celle, centrale de l’identité culturelle et ethnique considérée mobile et métisse plutôt que stable ou pure 75.

72 Cf. COSTA (2006)

73PRYSTHON, Angela (2016) op. cit.

74BENESSAIEH, Afef (2010) op. cit.

75Idem.

D'après la chercheuse en communication brésilienne, Angela Prysthon, dans un article qui parle de l'influence des études postcoloniales et des études culturelles en Amérique Latine, à partir des années 80, avec l'apparition du postcolonialisme on a pu remplacer le terme Tiers-Monde, au moins dans la sphère théorique, voire politique. Ainsi, dans le domaine de la production académique et des polémiques intellectuelles, au lieu de Tiers-Monde on a commencé a parler de postcolonial76. Selon Prysthon, la naissance de cette sphère théorique dans ces domaines là s'est rendue nécessaire en tant que réponses formulées du point de vue périphérique aux questions posées par la

problématique du postmoderne. Un point de vue capable d’introduire, dans cette problématique, l'identité tiers-mondiste (ou périphérique). Et c'est dans cet esprit qu'on a vu naître une nouvelle attitude tiers-mondiste, qui a essayé d'utiliser la différence, l'altérité comme point de départ pour l'intégration au capitalisme global.

Le multiculturalisme – perçu comme produit de la diversité culturelle des peuples post-coloniaux – est, donc, introduit dans le marché culturel mondial sous la forme de biens symboliques

périphériques, participant à la culture de masse internationale. (Nous reviendrons sur la question culturelle dans le chapitre suivant).

Ainsi, les études postcoloniales replacent, au centre de la culture mondiale contemporaine, le débat sur l'identité nationale, la représentation, l’ethnicité, la différence et la condition subalterne. Ces sont des questions de fond qui dépassent la thèmatique de notre travail. Mais il nous semble

pertinent de mentionner la perspective critique apportée par le postcolonialisme car il y a toute une production critique qui précède notre recherche et qui, à côté des idées du postmodernisme de Michel Maffesoli, inspire nos réflexions.

Quand on parle de l'altérité (sujet que nous aborderons aussi dans le chapitre suivant), avec le postcolonialisme, on se rend compte que la vision du monde postulée par la Modernité est, enfin, la vision eurocentriste du monde. Par là, en accord avec la logique de la dichotomie qui prévaut dans la cosmologie typiquement moderne, les peuples qui y habitent sont ou des occidentaux (nous, les européens) ou des orientaux (tous les autres).

À ce propos, il est intéressant de noter, par exemple, le fait que le Brésil, pays où statistiquement77 la majorité de la population se déclare catholique, et où, par conséquent, les valeurs issues de la culture religieuse de base judéo-chrétienne sont toujours prédominantes– cela malgré l'héritage africain qui garde ses traces dans plusieurs aspects de la culture du pays – soit considéré par la pensée instituée dans les Sciences sociales et humaines européennes comme un pays

non-occidental. Le fait que le Brésil ne présente pas de caractères associés à l'Orient est aussi vrai qu'il est impossible de l'associer à l'Occident, étant donnée l'énorme diversité de la culture brésilienne, ainsi que la complexité de la formation de son peuple.

Une preuve de plus du caractère réductionniste et simplificateur de cette vision dichotomique et eurocentriste où, à forceps, on divise le monde entre l'Occident et l'Orient. Une manière de plus pour parler de nous (l'Europe – de l'Est, Occidental78) et des autres (tout ce qui n'est pas l'Europe).

76PRYSTHON, Angela (2016) op. cit.

77En accord avec les données diffusées en 2010, plus de 64% de la population (123.280.172 sur plus de 191.792.000 des résidents sur le territoire brésilien) se déclarent catholiques. (Informations basées sur les enquêtes démographiques réalisées par le IBGE - Instituto Brasileiro de Geografia e Estatistica - accessibles sur le site http://ibge.gov.br.

78Car il y a aussi l'Europe de l’Ouest dont les spécificités n'ont pas été pris en considérations par Saïd quand il a proposé cette dichotomie entre l'Occident et l'Orient, cela étant un des faiblesses de sa thèse selon certains des ses détracteurs.

Nous avons vu, avec les auteurs mentionnés dans les premières sous-sections de ce chapitre, comment le réductionnisme typique à la méthode scientifique a été aussi le processus responsable de la rationalisation synthétique et simplificatrice qui a fait du développement un synonyme de la marche irréfutable vers le bonheur. Et, par là, a établit une échelle de jugement de valeurs où les plus développés occupent le sommet, étant associés aux valeurs positives, en opposition à ceux, plus en bas, supposés être encore attachés aux valeurs anti-développement.

Tout au long du lent processus de la formation de la pensée Moderne, les termes ont remplacé les uns aux autres: colonisé/colonisateur ; néo-colonialisme/néo-impérialisme ; Occident/Orient ; Nord/Sud. Et, les dualismes avec jugement de valeur restaient toujours présents car les labels arrivaient avec : civilisés/barbares ; retardés/avancés ; développés/sous-développés ; donateur d'aide/demandeur d'aide. Cette dernière dichotomie est l'expression, dans le domaine des Relations Internationales, de la vision du monde Moderne qui persiste toujours, surtout dans la sphère institutionnelle.

1.5 Le mythe du progrès en tant que pratique : la collaboration

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