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Les enjeux liés à l’organisation complexe des entreprises transnationales

INTRODUCTION

A. Les enjeux liés à l’organisation complexe des entreprises transnationales

32. L’internationalisation des échanges qui s’est accrue dès les années 1990 a favorisé le développement des activités des entreprises au niveau mondial. Si celui-ci s’est

86 I. DESBARATS, G. JAZOTTES, « La responsabilité sociale des entreprises : quel risque juridique ? », La semaine juridique, Cahiers de droit de l’entreprise, mai 2012, n°

3, pp. 25-30.

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accompagné d’un accroissement des richesses, il s’est surtout fait au détriment d’une prise en compte plus globale des effets potentiellement néfastes des activités économiques et commerciales sur les droits de l’Homme, l’environnement, et plus généralement, sur les générations futures87. L’importance d’une prise en compte de ces préoccupations extra-économiques dans les échanges industriels et commerciaux ne s’est faite que tardivement88, à travers notamment la notion de « développement durable89 », entériné par 187 Etats lors du Sommet de la Terre qui s’est tenu à Rio en 199290. La mise en œuvre d’un tel objectif incombe en premier lieu aux pouvoirs publics. Elle ne peut toutefois se faire sans une participation active des entreprises, principaux acteurs du développement économique dans un système libéralisé des échanges. C’est cet objectif que traduit aujourd’hui la notion de Responsabilité sociétale des entreprises.

87 Pour des exemples des nombreuses affaires mettant en cause des entreprises transnationales dans des cas de violations des droits de l’Homme, d’actes de pollution ou de corruption, voir par exemple P. LAGET, La liste noire des multinationales, L’Harmattan, Paris, 2013, 83 p.

88 L’objectif de « développement durable » est aujourd’hui inscrit dans la Charte de l’environnement, qui a été intégrée au bloc de constitutionnalité par la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005, ainsi que dans plusieurs textes législatifs. L’article L. 225-102-1 du Code de commerce prévoit par exemple que le rapport financier produit par certaines sociétés contient des informations sur la manière dont les sociétés prennent en compte les conséquences sociales et environnementales de leurs activités, ainsi que sur leurs engagements sociétaux en faveur du développement durable. Le texte différencie ainsi la prise en compte des effets actuels, qu’ils soient positifs ou négatifs, des activités des entreprises sur la Société, et la manière dont elles participent plus largement à ne pas compromettre la capacité des génération futures et des autres peuples à satisfaire à leurs besoins. L’objectif de développement durable fait également partie des principes généraux du droit de l’environnement. Il est inscrit à l’article L. 110-1 du Code de l’environnement. Les collectivités territoriales se voient imputer des obligations visant à garantir le respect de cet objectif (par exemple article L.

2311-1-1, et L. 4310-1 du Code des collectivités territoriales).

89 Le développement durable est défini comme un développement qui répond « aux besoins du présent sans compromettre la possibilité, pour les générations à venir, de pouvoir répondre à leurs propres besoins », Commission des Nations Unies sur l’environnement et le développement, Notre avenir à tous, A/42/427 Annexe, 4 août 1987, également appelé « Rapport Brundtland », du nom de Gro Harlem Brundtland ayant présidé la Commission en charge de la rédaction de ce rapport.

90 Le troisième sommet de la Terre de la terre qui s’est tenu en juin 1992, à Rio de Janeiro, a été l’occasion de consacrer le terme de « développement durable, notamment par l’adoption de la « Convention de Rio » relative à la diversité biologique et de l’Agenda 21. Cela a également été l’occasion de modifier la définition initialement proposée dans le Rapport Brundtland en faisant du développement durable un objectif non pas exclusivement centré sur la préservation de l’environnement, mais en y insérant également les objectifs de justice sociale et de progrès économique.

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33. Or, les entreprises transnationales se trouvent de plus en plus impliquées dans des affaires mettant en cause des cas de violation des droits de l’Homme, des travailleurs ou des situations d’atteinte à l’environnement. C’est toute l’organisation des entreprises qui est mise en cause par les ONG et les associations de consommateurs, qui dénoncent régulièrement les effets néfastes de leurs activités sur la Société et les individus. La situation des « sweatshot »91 dans l’industrie du textile illustre les difficultés liées à la détermination des responsabilités entre partenaires commerciaux du fait de l’organisation complexe des entreprises transnationales.

34. Ce secteur a fait l’objet de nombreuses campagnes de dénonciation par la société civile depuis les années 1990, du fait notamment des nombreux problèmes sociaux liés aux chaînes de sous-traitance en cascade. Ces « usines de la sueur » résultent de la multiplication du recours à la sous-traitance, suite aux vagues d’externalisation dans des pays ne garantissant pas la protection des droits des travailleurs et connus pour leurs prix très compétitifs. Ces pays sont d’ailleurs parfois qualifiés de Low cost countries ou leading competitive countries92. Face aux chaînes de sous-traitance internationales qui se sont développées dans le secteur du textile, syndicats, ONG93, associations de consommateurs et d’étudiants se sont organisés collectivement à l’échelle internationale afin de dénoncer les conditions de travail dans les usines participant à ces chaînes de sous-traitance internationales. Disney, Esprit, Zara, Gap94, H&M, Levis etc. ont fait

91 Terme anglo-saxon désignant des usines au sein desquelles les conditions de travail sont extrêmement dures et dans lesquelles le respect des droits fondamentaux fait souvent défaut.

92 O. LAVASTRE, A. SPLANZANI, « Responsabilité sociale des entreprises et management de la chaîne logistique : vers des supply chain pérennes ? », Proposition pour le colloque de l’ADERSE, janv. 2008, 6 p., disponible sur www.aderse.org, site visité le 10 avril 2013.

93 Le collectif français « éthique sur l’étiquette », relais français de la Clean clothes campaign a par exemple vu le jour en 1990, voir www.ethique-sur-etiquette.org et la

« Campagne vêtements propres », www.cleanclothes.org.

94 Gap a par exemple fait l’objet d’une enquête du journal anglais The observer en octobre 2007, révélant que des vêtements de la marque étaient fabriqués chez l’un de ses fournisseur par des enfants, ce qui a conduit l’entreprise à rompre sa relation contractuelle avec ledit fournisseur. Déjà en 1990, l’entreprise avait été visée pour des cas de travail forcé, de travail de mineurs et de punitions corporelles dans sa chaîne de sous-traitance. L’entreprise a depuis été conduite à rompre ses relations contractuelles avec 136 de ses fournisseurs et à adopter un code de conduite, O. LAVASTRE, A.

SPLANZANI, « Responsabilité sociale des entreprises et management de la chaîne logistique : vers des supply chain pérennes ? », op. cit.

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l’objet de ces campagnes de dénonciation portant sur les horaires de travail excessif, le non respect des droits des syndicats, de la liberté d’association, du travail des enfants, de la sécurité des travailleurs etc. chez leurs sous-traitants étrangers, souvent situés en Asie.

Les enseignes de la grande distribution telles que Lidle, Aldi, Carrefour, Tesco ou Walmart, ont également fait l’objet d’une enquête du collectif « éthique sur l’étiquette », donnant lieu à un rapport95 dénonçant les conditions de travail chez leurs sous-traitants ; le secteur du sport n’a pas non plus été épargné. Adidas, Reebok, Puma ou New Balance pourtant engagés dans des démarches de RSE, se sont également vu reprocher par le collectif les pressions faites sur leurs sous-traitants asiatiques96 qui avaient eu pour effet de contribuer à des violations alléguées des droits sociaux fondamentaux.

35. Le recours à la sous-traitance dans le secteur des matières premières soulève également de nombreux problèmes en termes de corruption, de pollution, de violations des droits de l’Homme ou des travailleurs. Prenons l’exemple de la société canadienne Nevsun Resources dont le comportement passif face à ses sous-traitants étrangers a été dénoncé par l’ONG anglaise Human rights watch. Il lui a notamment reproché de ne pas avoir pris les mesures nécessaires permettant d’éviter le recours au travail forcé lors de la construction d’une mine en Erythrée chez l’un de ses sous-traitants. Ces dénonciations ont par la suite conduit la société à mener des enquêtes chez ses sous-traitants afin de prévenir de telles violations97. La filière diamantifère a également été conduite à responsabiliser les acteurs du secteur. Rappelons en effet que le commerce illégal de

95 Clean clothes campaign, éthique sur l’étiquette, « Clash ! Pratiques d’approvisionnement de la grande distribution et des conditions de travail dans l’industrie de l’habillement », 2009, 84 p., disponible sur : http://www.ethique-sur- etiquette.org/IMG/pdf/1-2_Rapport_Cash.pdf, site visité le 10 avril 2013.

96 Maquila Solidarity Network, « Surmonter les obstacles : mesures pour améliorer les salaires et les conditions de travail dans l’industrie mondiale des vêtements et des chaussures de sport », campagne Playfair 2008, avril 2008, 80 p., disponible sur :

http://www.ethique-sur-etiquette.org/IMG/pdf/1-2_Rapport_surmonter_les_obstacles.pdf, site visité le 10 avril 2013.

97 Human rights watch, « Hear no evil : forced labor and corporate responsibility in Eritrea’s mining sector », janv. 2013, 35 p., disponible sur: www.hrw.org, site visité le 11 avril 2013.

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diamants a permis d’alimenter de nombreux conflits, notamment en Afrique, en permettant le financement des armes98.

36. L’organisation des entreprises transnationales et de leurs relations d’affaire soulèvent de nombreuses difficultés liées notamment à la détermination des responsabilités lorsqu’un dommage survient ou qu’une violation est commise par l’une des sociétés appartenant à un groupe ou à un réseau. En droit positif, l’appartenance ou le lien à un groupe ou à un réseau est en effet sans incidence sur les responsabilités des autres sociétés. En appréhendant l’entreprise dans son organisation globale ainsi que dans sa fonction sociétale au-delà des structures juridiques, la RSE propose une nouvelle approche de l’entreprise transnationale.