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L’organisation des relations du groupement : l’exemple du droit du travail

SECTION I L’ENTREPRISE TRANSNATIONALE ÉCLATÉE PAR LE DROIT

A. L’organisation des relations du groupement : l’exemple du droit du travail

90. L’unité économique et sociale (UES) permet d’aller au-delà des séparations juridiques existantes entre sociétés214. Elle ne se confond pas avec le groupe de sociétés dont elle peut constituer un « sous-groupe ». Elle reste néanmoins une notion propre au droit du travail, et ne peut donc produire d’effets dans d’autres branches du droit.

L’étude de sa fonction (1) et des critères de sa reconnaissance (2) permettent de mieux comprendre ce qui justifie la prise en compte de l’unité de l’entreprise, au détriment du principe d’autonomie juridique.

1) Les critères propres à la reconnaissance de l’UES

213 C. HANNOUN, « La réalité juridique de l’entreprise, réflexion sur la perception par le droit de la réalité matérielle de l’entreprise », ESKA, Entreprise et histoire, 2009/4, n°57, p. 188.

214 Notons qu’une UES peut être reconnue entre diverses personnes juridiques et ne se limite pas à regrouper des sociétés commerciales. Sur cette question voir notamment G.

BLANC-JOUVAN, « L’unité économique et sociale et la notion d’entreprise », Droit social, n°1, janv. 2005, p. 74 et s.

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91. Les critères qui permettent de reconnaitre l’existence d’une UES révèlent les liens qui unissent plusieurs sociétés. Reconnaître que plusieurs sociétés forment une UES ne les prive pas formellement de leur personnalité juridique. L’UES ne constitue pas une personne morale et n’a donc pas d’existence juridique propre. Dépourvue de personnalité juridique, elle ne peut dès lors pas revêtir le statut d’employeur.

Néanmoins, la reconnaissance d’une UES porte atteinte à l’autonomie réelle des entités la constituant, dès lors qu’elle impose certaines obligations aux sociétés situées dans son périmètre. En consacrant l’existence d’une communauté de travailleurs au-delà des frontières des entités qui la composent, la reconnaissance d’une UES revient à admettre indirectement l’absence d’autonomie de ses membres215dans leur gestion du personnel.

92. C’est d’ailleurs cette idée qui sous-tend les critères retenus par la jurisprudence pour admettre l’existence d’une UES. En effet, une UES se caractérise par la reconnaissance cumulative d’une unité économique et d’une unité sociale216. Or, si dans le cas de l’UES, le point de départ du raisonnement ne part pas d’une démonstration positive de l’absence d’autonomie des sociétés la constituant, mais de l’unité entre elles, a contrario, on peut en déduire qu’il s’agit là d’une reconnaissance implicite de leur absence d’autonomie. Cette absence d’autonomie se révèle par exemple à travers la question de la gestion du personnel. Ainsi, les sociétés peuvent conserver leur autonomie en matière de gestion financière, mais perdre leur autonomie relative à la gestion du personnel. Cela ressort des indices retenus par le juge pour constater l’existence d’une entité économique : si de l’interdépendance économique entre sociétés peut découler l’interdépendance sociale, cela n’est pas le critère principal.

215 En ce sens, voir G. BLANC-JOUVAN, qui rappelle que dans le cadre d’une demande judiciaire de reconnaissance d’une UES, toutes les sociétés concernées doivent être appelées à la cause, car cette reconnaissance peut porter atteinte à leur autonomie (G.

BLANC-JOUVAN, « L’unité économique et sociale et la notion d’entreprise », ibidem).

Voir également Cass. soc. 17 déc. 1976, n° 76-60142 76-60143, cassant un jugement du Tribunal de première instance, au motif que toutes les personnes morales n’avaient pas été appelées à la cause alors que « leur autonomie était en discussion ».

216 V. aussi J. SAVATIER, « Conditions de la reconnaissance d'une unité économique et sociale », Dr. soc. 2002, p. 715 ; Rappelons que ces critères s’appliquent quelle que soit l’institution représentative à mettre en place, Cass. soc. 5 mai 1988, n°87-60215, Bulletin, 1988, n° 273 p. 180.

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93. En effet, pour que l’entité économique soit constituée, une concentration des pouvoirs doit être caractérisée entre les diverses sociétés de l’UES. Celles-ci doivent en plus exercer des activités similaires ou complémentaires217. Le critère de la concentration des pouvoirs de direction nécessite la recherche du pouvoir effectif. Ce pouvoir doit être détenu par une personne ou des personnes situées dans le périmètre de l’UES. Cette précision permet donc de comprendre que le juge saisi ne se limite pas à constater l’existence d’un contrôle entre sociétés, auquel cas les critères retenus par le droit des sociétés auraient pu suffire. La concentration financière entre sociétés pourra néanmoins renforcer la preuve de la concentration du pouvoir, mais ce ne sera là qu’un critère secondaire218. De même, « la dépendance administrative et financière à l'égard d'une autorité de tutelle et la participation de mêmes personnes ès qualités aux conseils d'administration » ne caractérisent pas en soi, une UES219. De même, le fait que des sociétés aient leur siège social à la même adresse et que deux sociétés aient des dirigeants communs et qu’ils participaient au comité de direction du groupe ne suffit pas à caractériser la concentration du pouvoir220. En effet, le juge recherche avant tout un interlocuteur aux mandataires sociaux afin qu’ils puissent exercer pleinement leurs droits de représentation, ce qui nécessite la désignation claire d’un dirigeant ou d’une entité dirigeante qui concentre ce pouvoir de direction. Or, admettre l’existence d’un pouvoir unique, c’est a contrario reconnaître l’absence d’autonomie des sociétés qui subissent ce pouvoir et dont les décisions ne pourront qu’en être affectées. Le juge saisi doit donc rechercher avant tout le centre de décision effectif qui s’exerce sur les personnes morales ayant vocation à constituer une UES.

94. Concernant le critère de l’unité sociale, la Cour de cassation exige du juge d’instance qu’il caractérise, en plus d’une unité économique, l’existence d’une unité sociale221. Celle-ci se déduit de l’existence d’une communauté de travailleurs. Plus

217 Depuis un arrêt de la Chambre sociale, les activités des sociétés concernées par l’UES n’ont plus à être identiques, elles peuvent être complémentaires, ce qui doit être constaté par le juge d’instance. Voir Cass. soc. 3 mars 1988, Bull. civ. V, n°164, D.

1988, IR 111.

218 Voir en ce sens R. DE QUENAUDON, « Comité d'entreprise (Mise en place, composition, fonctionnement) », Répertoire droit du travail, Dalloz, janv. 2004.

219 Cass. soc. 24 nov. 1992, Bull. Civ. V, n° 569, cité par R. DE QUENAUDON,

« Comité d'entreprise (Mise en place, composition, fonctionnement) », op. cit.

220 Voir en ce sens Cass. soc., 29 avril 2009, n° 08-60465, inédit.

221 Cass. soc. 5 juillet 1977, Bull. civ. V, n° 458.

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précisément, elle traduit « les liens particuliers pouvant exister entre les travailleurs employés par les diverses personnes morales composant l’UES222 ». Cette communauté de travailleurs doit être relevée par le juge d’instance, mais ils n’ont à leur disposition qu’un faisceau d’indices. Ainsi, la permutabilité du personnel entre les entités de l’UES peut-elle être un élément de cette communauté, de même que l’application d’un même règlement intérieur ou encore des conditions de travail identiques. Ces indices marquent inévitablement l’interdépendance des sociétés appartenant à l’UES et par voie de conséquence leur absence d’autonomie complète dans leur rapport avec leurs travailleurs. Pour autant, l’interdépendance et l’altération de leur autonomie ne sont pas des critères utilisés par le juge pour se déterminer sur la reconnaissance d’une UES, même si les indices retenus démontrent que c’est cela dont il est question. D’ailleurs, comme le relève R. DE QUENAUDON, ces mêmes éléments peuvent ne pas être retenus dans une autre espèce223. Cela s’explique par le degré d’hétéronomie et d’interdépendance que peuvent révéler les divers critères, selon les espèces. Ainsi, la Cour de cassation a-elle refusé par exemple la reconnaissance d’une UES entre sociétés qui avaient procédé à l’harmonisation et au regroupement des équipes commerciales, organisé la mobilité de certains salariés, centralisé la gestion des ressources humaines, signé un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et mis en place une formation commune. En l’espèce, la Cour a considéré que « la reconnaissance d'une unité économique et sociale suppose que soit établie l'existence d'une communauté de travail caractérisée notamment par un statut collectif commun à tous les salariés de l'unité économique et sociale, la permutabilité du personnel et des conditions de travail communes224 ». En se plaçant sur le terrain de l’autonomie, il est possible de comprendre la position de la Cour, les éléments retenus par le juge d’instance ne permettant pas de démontrer un degré suffisant d’hétéronomie entre les sociétés en cause. Dans tous les cas, exiger que soit constituée une communauté de travailleurs, c’est reconnaître implicitement l’interdépendance et l’hétéronomie entre sociétés d’un même ensemble.

Le degré d’autonomie des sociétés appartenant à l’unité varie d’une UES à une autre, mais cela n’est pas pris en compte explicitement par le juge, dès lors que les critères de l’UES sont caractérisés. Or, c’est bien cela qui permet d’expliquer que soit reconnue une

222 R. DE QUENAUDON, « Comité d'entreprise (Mise en place, composition, fonctionnement) », op. cit.

223 Ibidem.

224 Cass. soc. 9 novembre 2011, n° 10-23437, inédit.

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unité en lieu et place d’entités juridiquement distinctes. D’ailleurs, la mise en place d’un comité d’entreprise, commun aux sociétés de l’UES, qui est l’une des conséquences de sa reconnaissance, consacre également indirectement l’absence d’autonomie des entités appartenant à l’UES en matière de représentation collective. Si la technique juridique de l’UES répond à une finalité propre au droit du travail, elle s’inscrit malgré tout dans une tendance qui se retrouve dans d’autres branches du droit et qui vise à faire apparaitre la réalité organisationnelle de l’entreprise, derrière les divisions juridiques des entités qui la compose.

2) Les effets limités de l’UES

95. La notion d’UES a été créée par le juge225 puis consacrée par le législateur pour lutter contre la fraude de certaines entreprises qui organisaient leur structure juridique afin de ne pas dépasser certains seuils d’effectifs susceptibles d’entraîner l’application des règles en matière de désignation de délégués du personnel par exemple226. L’UES a finalement très vite été reconnue en dehors des cas de fraude, dès lors que ses critères constitutifs étaient réunis. Comme l’explique le Président SARGOS, il s’agit aujourd’hui

« de découvrir la réalité et la vérité de la communauté de travail à travers sa dimension économique et sociale effective227 », en dehors de toute manœuvre ou même de fraude.

Consacrée par la loi, son existence doit aujourd’hui être reconnue par convention ou par le juge228. Elle ne produit donc pas d’effet par elle-même. Surtout, si elle permet de rendre inefficace les effets de montages juridiques en droit du travail, l’application du principe de séparation juridique reste stricte et sa reconnaissance n’a pas d’effet sur l’application d’autres règles de droit229. Les créanciers d’une société, membre par ailleurs d’une unité économique et sociale, ne peuvent dès lors pas se prévaloir de son existence pour recouvrer leur créance. L’UES ne crée donc pas non plus de responsabilité solidaire entre ses membres et n’a pas d’effet autre que celui de constituer une institution représentative du personnel.

225 Cass. crim. 23 avril 1970, n°68-91333, Bull. crim. n°144, p. 335.

226 Cass. soc. 8 juin 1972, Bull. 1972, V, n° 418.

227 P. SARGOS, « La recherche de vérité de la communauté de travail en matière de représentation sociale dans l’entreprise », Rapport annuel Cour de cassation, 2004, p. 99.

228 Art. L. 2322-4 du Code du travail.

229 Voir en ce sens G. BLANC-JOUVAN, « L’unité économique et sociale et la notion d’entreprise », op. cit., p.69.

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96. L’UES répond donc à une finalité propre, critère que vérifie la Cour de cassation.

Il s’agit avant tout « de corriger, au point de vue du droit social, les effets de la division juridique d’une entreprise socialement et économiquement unique230 ». Il s’agit surtout d’empêcher que la division d’une entreprise n’empêche l’exercice du droit de représentation231. Pour reprendre l’expression d’A. LYON-CAEN, l’UES « fixe l’unité de représentation 232». En principe donc, la reconnaissance d’une UES n’a pas d’effet sur un litige mettant en cause le transfert d’un salarié entre deux entités juridiquement distinctes, appartenant à une même unité économique et sociale. Une UES peut être reconnue comme cadre des relations collectives de travail, mais n’a aucun effet sur les relations individuelles233.

97. Si pour l’heure, l’UES n’est pas le cadre d’exécution des relations individuelles, sa vocation s’étend néanmoins au-delà de la représentation du personnel. Ainsi l’illustre le droit qui est reconnu aux salariés de participer aux résultats de l’entreprise « constituée en unité économique et sociale 234» ou encore en matière de licenciement économique, où la validité du plan de sauvegarde de l'emploi est appréciée « au regard des moyens dont dispose l'entreprise ou l'unité économique et sociale ou le groupe235 ». Selon certains auteurs, les critères retenus pour reconnaitre l’existence d’une UES devraient

230 R. DE LESTANG, « La notion d’unité économique et sociale d’entreprises juridiquement distinctes », Dr. Soc. 1979, p. 6.

231 Sans revenir sur un débat aujourd’hui clos par la Cour de Cassation, l’UES a d’abord été considérée comme une notion relative en ce qu’elle prenait en compte la finalité de chaque institution. Un arrêt de la chambre sociale du 23 mai 2000 a mis fin à la controverse, comme l’a affirmé Alain Coeuret dans son rapport sur l’arrêt de la Cour.

L’UES serait devenue une notion stable, applicable aux différentes instances de représentation du personnel. Voir, A. COEURET, rapport sur Cass. soc., 23 mai 2000, no 98-60.212, 98-60.217, RJS 7-8/00 p. 529 et s ; également en ce sens B. BOUBLI,

« L’Unité économique et sociale à l’époque des vœux. État des lieux et souhaits de réforme», SS Lamy, 2004, n°1156 et 1157 ; R. DE QUENAUDON, « Comité d'entreprise (Mise en place, composition, fonctionnement) », op. cit. ; Rapport de Mme Farthouat-Danon, Conseiller rapporteur, Avis n° 0070005P du 19 mars 2007.

232 A. LYON-CAEN, « L’UES sauvée de ses excès », SS Lamy, 3 sept. 2007, n°13-18, p.

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233 Cass. soc. 16 déc. 2008, n° 07-43875 ; confirmant un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 31 mai 2007.

234 Art. L. 3322-2 Code du travail.

235 Art. L.1235-10 Code du travail.

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également permettre d’en faire un cadre de négociation collective236. Pour Bernard BOUBLI237, ces textes marquent un pas de plus vers une émancipation de la fonction de l’UES. Pourtant, le même auteur constate la prudence de cette émancipation qui, si elle peut se constater en matière de droits issus de l’UES, ne l’est toujours pas en matière de droit de la reconnaissance de l’UES, alors qu’il s’agit de la question fondamentale à régler. En effet, en toute logique, l’exercice des droits issus de l’UES dépendent de sa reconnaissance. Cette question centrale fait débat au sein de la doctrine, entre les partisans d’une extension de la fonction de l’UES au-delà de la représentation du personnel238afin qu’elle devienne « l’entreprise en droit social239 », et ses opposants, pour lesquels une telle extension mettrait en péril les droits individuels des salariés240. Retenons qu’en l’état du droit positif, si l’UES ne se limite plus à assurer l’exercice du droit de représentation, elle ne saurait pour autant être assimilée à l’employeur.

98. L’UES porte malgré tout en elle la reconnaissance d’une entreprise unique au sens du droit du travail241 et ce, indifféremment des statuts juridiques de ses membres, même si elle n’est « pas encore l’entreprise à part entière, dans tous les domaines du droit du

236 Voir en ce sens G. BLANC-JOUVAN, « L’unité économique et sociale et la notion d’entreprise », op. cit., p. 78 et s.

237 B. BOUBLI, « L’Unité économique et sociale à l’époque des vœux. État des lieux et souhaits de réforme», op. cit.

238 Ibidem.

239 Selon B. BOUBLI, la prudence du juge à abandonner le critère fonctionnel de l’UES tient aux limites de la loi en matière de reconnaissance de l’UES. Il distingue donc les droits de l’UES, qui tendent à s’étendre au-delà du droit de représentation, et le droit de la reconnaissance de l’UES ; ibid.

240 Voir en ce sens Antoine LYON-CAEN, pour qui toute assimilation de l’UES à l’employeur serait « un projet dangereux », qui favoriserait des transferts de salariés sans que leurs droits en la matière ne soient plus respectés. Pourtant, rien ne retient le législateur d’intervenir en la matière afin de garantir ce respect ; A. LYON-CAEN,

« L’UES sauvée de ses excès », op. cit.

241 C’est d’ailleurs en ces termes que certains juges qualifient l’UES. Voir Tribunal d’Instance de Paris, 13 avril 2005, non publié, cité dans A. COEURET, « L’avenir de l’UES conventionnelle », SS Lamy ,2005, n°1220: la reconnaissance de l’UES « aboutit à l’assimilation d’entreprises juridiquement distinctes à une entreprise unique en fonction d’un certain nombre de critères peut intervenir en dehors de tout contexte d’élections professionnelles ».

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travail242 ». Sa finalité reste toutefois une limite à une possible généralisation des tempéraments qu’elle apporte au principe d’autonomie juridique des sociétés.