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SECTION II L’ENTREPRISE TRANSNATIONALE IGNORÉE PAR LE DROIT

B. L’entreprise, une notion fonctionnelle

137. Constater l’impossibilité pour les auteurs de proposer une définition unique de l’entreprise ne l’exclut pas pour autant de la sphère juridique comme nous venons de l’exposer. Cela permet au contraire de mieux cerner la place qu’elle occupe dans l’univers juridique. Souffrant en apparence de plusieurs définitions, ce n’est pourtant pas faute pour la doctrine d’avoir voulu proposer une conception unique de la notion, au risque de l’enfermer dans un concept. A défaut de définition unique et figée, la notion d’entreprise rejoint finalement la catégorie des notions juridiques qualifiées de

« fonctionnelles »356 dans la mesure où l’on considère qu’une « notion conceptuelle est une notion statique alors que la notion fonctionnelle est une notion mobile357 ». Une notion fonctionnelle peut se comprendre comme ayant « un contenu qui varie selon son utilisation ; elle n’est jamais achevée puisque son contenu ne peut être épuisé par une

355 M. DESPAX, L’entreprise et le droit, op. cit.,

356Ainsi peut-on dire de la bonne foi, de l’ordre public ou encore de l’affectio societatis en droit des sociétés qu’elles sont des notions fonctionnelles (voir en ce sens N.

REBOUL, « Remarques sur une notions conceptuelle et fonctionnelle : l’affectio societatis », Revue des sociétés, 2000 p. 425) ; pour une étude sur les notions fonctionnelles en droit d’auteur voir C. CASTETS-RENARD, Notions à contenu variable et droit d'auteur, l'Harmattan, 2003.

357 T. FORTSAKIS, Conceptualisme et empirisme en droit administratif français, LGDJ, 1987, p. 318.

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définition358 ». Une notion fonctionnelle peut dès lors revêtir plusieurs définitions359. C’est d’ailleurs en ce sens que se prononce la CJCE qui voit dans l’entreprise une notion fonctionnelle en précisant, à propos de l’entreprise, que les solutions retenues dans une branche de droit ne le sont pas forcément dans une autre. Une notion fonctionnelle n’existe ainsi que par sa fonction qui évolue et est dès lors difficilement pré- déterminable. C’est d’ailleurs cette fonction qui confère à l’entreprise une certaine unité360, face aux diverses formes d’organisation qu’elle peut revêtir aujourd’hui. Par opposition aux notions conceptuelles, une notion fonctionnelle permet ainsi « une application diversifiée de la règle de droit selon les circonstances et les objectifs poursuivis. En face d’une catégorie ouverte dont les contours sont imprécis, le juge peut à son gré y faire entrer telle situation juridique, à laquelle il souhaite faire produire telle conséquence juridique 361». Les diverses utilisations qui sont faites de l’entreprise démontrent la latitude laissée au juge dans l’interprétation de la notion d’entreprise. En se trouvant à la croisée de rapports juridiques variés, aux intérêts généralement divergents, il aurait été de toute façon difficile au législateur de déterminer avec précision toutes les situations que révèlent aujourd’hui les activités économiques. Aussi, de même que l’entreprise ne peut se réduire à une définition unique, elle ne saurait remplir une fonction unique en droit.

138. Deux fonctions peuvent d’ores et déjà lui être reconnues. La notion d’entreprise est ainsi tout autant un critère d’application du droit, qu’une technique juridique de

358 V. RANOUIL, La subrogation réelle en droit français, L.G.D.J., 1985, p. 25.

359 A propos de l’approche divergente de l’entreprise en droit social et droit de la concurrence, CJCE, Allen e. a., 2 décembre 1999, aff. C 234/98 cité dans L. IDOT, « La notion d'entreprise », Revue des sociétés, 2001, p.191.

360 Ainsi selon G. VEDEL, « Tandis que la notion conceptuelle peut recevoir une définition complète selon les critères logiques habituels (son contenu est abstraitement déterminé une fois pour toutes), la notion fonctionnelle procède directement d'une fonction qui lui confère seule sa véritable unité », G. VEDEL, « La juridiction compétente pour prévenir, faire cesser ou réparer la voie de fait administrative », JCP, 1950, I, 851, n° 4 cité par N. REBOUL, « Remarques sur une notions conceptuelle et fonctionnelle : l’affectio societatis », op. cit., note 26.

361 D. LOSCHAK, Le rôle politique du juge administratif français, L.G.D.J. 1972, p.

139, cité par C. CASTETS-RENARD, Notions à contenu variable et droit d'auteur, op. cit., note 289, p. 87.

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requalification362. Dans le premier cas, l’entreprise permet de désigner une société, dans le second elle englobe un ensemble de sociétés.

139. Lorsque les frontières de la société correspondent à celles de l’entreprise, le recours à la notion d’entreprise permet d’englober tout type de société, indépendamment de leur forme statutaire. Elle est, de ce point de vue, un critère d’application du droit. La détermination de l’entreprise est par exemple une condition d’application du droit communautaire de la concurrence. En tant que critère d’application, l’entreprise est utilisée pour dépasser la société. En droit du travail, c’est elle qui est visée en matière de négociation collective, de droit de grève, de droit disciplinaire. Que le salarié travaille dans une SARL, une SAS ou une SA importe peu. Ce qui compte, c’est que ses droits soient respectés et qu’il respecte ses obligations. Pour cette raison, le législateur vise par exemple l’entreprise lorsqu’il s’agit de règlementer la procédure de licenciement économique363. De la même manière, le droit des procédures collectives s’est construit autour de l’entreprise en difficulté, peu importe son statut juridique. En servant de critère d’application, elle devient le cadre d’exécution du travail subordonné364. En permettant la mise en œuvre du droit du travail elle devient une « notion relative et fonctionnelle 365».

140. L’entreprise permet également de désigner un groupement de sociétés en dépassant à la fois les frontières d’une société et le statut juridique de chaque membre du groupement. Elle devient dès lors une notion utile face aux transformations de l’entreprise, en permettant de calquer sur l’unité économique du groupement, une unité juridique. En remplissant cette fonction, l’entreprise devient une technique juridique permettant de nier « les séparations juridiques du droit des affaires366 ». Cela est notamment vrai en droit du travail lorsque pour assurer la sécurité de l’emploi et protéger les salariés contre les changements d’employeurs, l’article L.1224-1 du code du travail vise non pas les salariés « des sociétés » mais « de l’entreprise », indifféremment

362 Voir en ce sens A. SUPIOT, « Groupes de sociétés et paradigme de l'entreprise », RTD civ., 1985, pp. 621 à 644.

363 Article L. 1233-46 Code du travail.

364 F. DUQUESNE, Le nouveau droit du travail, éd. GUALINO, 2008, p. 65.

365 J-C. JAVILLIER, Droit du travail, L.G.D.J., 7ème éd., 1999, p. 195.

366 G. LHUILIER, « Le "paradigme" de l'entreprise dans le discours des juristes », op.

cit., p. 338.

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de la structure sociétaire de l’entreprise. Ainsi par exemple, en présence d’établissements distincts, c’est l’entreprise dans son ensemble qui sera prise en compte et non les établissements pris séparément367. De même, face aux regroupements d’entreprises, le but est de dépasser les frontières de l’entreprise et de prendre en compte la réalité économique et sociale, d’où l’utilisation de la notion d’unité économique et sociale qui permet le regroupement de sociétés juridiquement distinctes, et qui représente l’entreprise dans son ensemble368. La notion d’entreprise sert ainsi à passer outre les divisions juridiques contractuelles ou sociétaires pour règlementer, de manière générale les relations entre employeurs et salariés au sein d’une entreprise369. L’entreprise servirait finalement à « faire échec au droit des sociétés 370» lequel, par application de ses règles classiques, n’aurait pas pu maintenir les salariés en pareille situation. C’est ce qui fait dire à G. LHUILIER qu’à « la notion d’entreprise correspond un droit qui n’aurait pas été facilement compatible avec la notion de « société » 371. 141. Plus particulièrement, la notion d’entreprise permet de cerner un groupe de sociétés dans son ensemble, composé de sociétés diverses, tant dans leur nombre que dans leur forme, alors qu’économiquement elles suivent le prolongement de la société- mère. A ce titre, le droit communautaire de la concurrence reflète le besoin de dépasser les « montages juridiques » créés par les sociétés pour rechercher l’unité. Dans cette optique, l’entreprise peut être définie comme une unité d’organisation dotée d’une autonomie de décision372. C’est donc bien l’approche fonctionnelle de l’entreprise qui est ici privilégiée.

142. De manière générale, la notion d’entreprise tente donc de résoudre les rapports conflictuels entretenus entre le capital et le travail, qui sont les « deux facteurs qui

367 Par exemple, art. L. 2327-7 du Code du travail portant sur les élections du comité central d’entreprise.

368 Voir art. L. 2322-4 Code du travail portant sur les conditions de mise en place d’un comité d’entreprise commun à plusieurs entreprises appartenant à une unité économique et sociale.

369 Pour une description des situations dans lesquelles plusieurs sociétés exploitent une entreprise, voir J. PAILLUSSEAU, « Le big bang du droit des affaires à la fin du XX°

siècle », op. cit., p. 21.

370 G. LHUILIER, « Le "paradigme" de l'entreprise dans le discours des juristes », op.

cit., p. 338.

371 Ibidem.

372 L. IDOT, « La notion d'entreprise », Revue des sociétés, 2001, p. 194.

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conditionnement désormais la marche de l’entreprise »373. En ce sens, le droit peut tantôt l’appréhender comme un ensemble, tantôt comme une parcelle374 car elle est avant tout caractérisée par sa fonction, ce qui la rend relative et évolutive375. Elle décrit à ce titre des réalités différentes selon les évolutions de l’organisation des sociétés. Utilisées d’abord pour englober tous types de sociétés, elle a ensuite permit d’englober un groupe.

Elle peut dès lors être utilisée pour résoudre des rapports conflictuels, considérés traditionnellement comme extérieurs à l’entreprise, car non pris en compte dans son périmètre habituel. Le recours à cette notion peut donc s’appliquer à de nouvelles formes de groupements de sociétés, lorsque l’application de certaines règles justifient de l’appréhender dans sa dimension unitaire, sans que sa composition multiple n’en soit pour autant remise en cause. De la sorte, ses frontières matérielles peuvent s’en trouver élargies. C’est d’ailleurs en ce sens que les instruments de RSE appréhendent l’entreprise, selon une vision large de son périmètre376. Par conséquent, ce n’est pas tant la recherche d’une définition unique de l’entreprise qui importe que la question de la définition « des objectifs de gouvernements des faits matériels qui ont vocation à pénétrer dans toutes les dimensions de la réalité économique de l’entreprise377 » qui est déterminante378.

143. Les instruments et normes élaborées en matière de RSE visent à cet égard les entreprises de manière générale, indifféremment de la nature juridique des entités à l’origine de leurs activités. Ceci se justifie car « la notion de société apparaît trop étroite

373 P.DURAND, "La notion juridique de l'entreprise", Travaux de l'Association Henri Capitant, 1947, t. III, p. 61-123.

374 A. SUPIOT, « Groupes de sociétés et paradigme de l'entreprise », op. cit., p. 644.

375 Nous faisons ici référence aux deux caractéristiques relevées par A. SUPIOT concernant la notion d’unité économique et sociale, qu’il qualifie de « relative », car sa portée diffère selon le type de problèmes qu’elle permet de régler, et d’évolutive « dans la mesure où la définition de ses contours est affaire de politique jurisprudentielle ». Or, d’une part ces deux caractéristiques sont celles d’une notion fonctionnelle, et d’autre part, la notion d’unité économique et sociale désigne généralement une entreprise. Idem, p. 628.

376 Voir infra, p. 125 et s.

377 C. HANNOUN, « La réalité juridique de l’entreprise, réflexion sur la perception par le droit de la réalité matérielle de l’entreprise », ESKA, Entreprise et histoire, 2009/4, n°57, p. 191.

378 En démontrant que la recherche d’une conception unique de l’entreprise à laquelle se sont attachés les auteurs n’est pas pertinente, C. HANNOUN déplace le débat vers les objectifs que se fixent les règles de droit pour défendre des intérêts catégoriels, idem, p.

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pour embrasser la réalité d’aujourd’hui379 ». Pour cette raison C. BOLZE avance l’idée selon laquelle « la reconnaissance d’une entité générique, l’entreprise, permettrait de reformuler des principes fondamentaux communs à toutes les personnes morales ayant une activité économique380 ». Reconnaître son caractère fonctionnel à la notion d’entreprise permet une telle approche, sans nier les séparations juridiques des entités la composant, ni créer une nouvelle personne morale. C’est d’ailleurs cette approche de l’entreprise qui se retrouve dans les normes élaborées au titre de la RSE. La question n’est finalement pas tant de substituer l’entreprise à la société mais bien de recourir à la notion d’entreprise pour encadrer, dans certains domaines, des activités ou entités économiques. Comme le note G. LHUILLIER, cette notion serait ainsi « à la

« charnière » entre un droit classique et un droit actuel en émergence qui complète le droit des sociétés381». Un tel constat invite à repenser l’entreprise dans une approche plus englobante, qui permettrait de cerner les nouvelles formes d’organisation des sociétés afin de permettre au droit de s’adapter et de faire correspondre le droit de la responsabilité aux multiples formes prises par les entreprises transnationales. C’est cette approche que propose la RSE, en se concentrant davantage sur les relations et les activités économiques et commerciales de l’entreprise que sur sa structure juridique.

379 Note C. BOLZE sous CA Paris, 28 mai 1986, D. 1987, 562.

380 Ibidem.

381 G. LHUILIER, « Le "paradigme" de l'entreprise dans le discours des juristes », op.

cit., p. 338.

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CONCLUSION SECTION II

144. L’entreprise transnationale n’est pas une figure juridique. Elle n’est ni une notion juridique, ni une personne. Elle se rapproche en revanche de deux figures connues du droit que sont le groupe de sociétés et l’entreprise. Or, nous avons pu constater que ces deux figures ne permettaient pas d’englober la réalité à la fois unitaire et multiple de l’entreprise transnationale et que dans tous les cas, ces deux figures étaient elles-mêmes trop floues pour permettre de réceptionner l’entreprise transnationale dans sa complexité organisationnelle.

145. L’entreprise reste malgré tout un instrument de référence, un paradigme382. Face aux transformations structurelles de l’entreprise-entité, l’entreprise se révèle pourtant incapable d’assurer sa fonction paradigmatique. Cela s’explique en grande partie par la conception que l’on retient du paradigme de l’entreprise. Celui-ci est en effet bien souvent perçu comme figé, incapable de réceptionner les diverses formes que peuvent revêtir l’entreprise-entité. En servant d’assise au droit383, elle reste pourtant une notion juridique384, remplissant une fonction d’articulation entre le fait et le droit. D’apparence fixe, la notion d’entreprise varie ainsi selon les juridictions qui l’appliquent, les disciplines qui l’analysent, les branches de droit qui l’encadrent. Elle est tantôt une unité de production, tantôt une activité ; parfois une unité économique et sociale et parfois une entité économique autonome, indépendante de ses règles d'organisation et de fonctionnement. Elle peut désigner un groupe de sociétés tout autant qu’une entreprise individuelle. Si ces deux figures peuvent permettre à la loi ou au juge de dépasser parfois les séparations juridiques afin de viser l’ensemble formé par plusieurs sociétés, elles ne permettent toutefois pas de proposer un cadre juridique adapté aux diverses formes organisationnelles que revêtent actuellement les entreprises transnationales.

382 Voir en ce sens A. SUPIOT, « Groupes de sociétés et paradigme de l'entreprise », op.

cit., p. 627.

383 L’entreprise est à plusieurs reprises visée par le législateur et constitue donc à cet égard un élément de la règle.

384 A. SUPIOT parle d’ « instrument de référence », A. SUPIOT, « Groupes de sociétés et paradigme de l'entreprise », op. cit., p. 627.

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CONCLUSION CHAPITRE 1

146. La Responsabilité sociétale des entreprises transnationales amène à s’interroger sur la capacité du droit à saisir l’entreprise transnationale dans sa diversité organisationnelle. D’un point de vue juridique, celle-ci se révèle morcelée, prédisposée à échapper à toute responsabilité, malgré son unité sémiotique. C’est que l’entreprise transnationale n’est pas une figure du droit interne385. Elle est un modèle d’organisation économique de sociétés, regroupés ou coordonnés à travers le contrat ou le capital.

L’étude de ces modes d’organisation permet de constater pourtant que derrière les séparations juridiques, l’entreprise transnationale reste un ensemble organisé, voire parfois même unifié. Le recours aux outils classiques du droit ne permet pourtant ni de la saisir dans sa double dimension unitaire et multiple, ni dans ses divers modèles d’organisation, qu’ils soient hiérarchiques et/ou réticulaires. L’organisation juridique des entreprises transnationales n’est en effet pas figée, alors que les catégories juridiques existantes pour les saisir le sont. La loi et la jurisprudence ont développé des mécanismes permettant parfois de saisir cet ensemble afin de faire primer la réalité des relations existantes entre les sociétés sur leurs séparations juridiques. Ces solutions restent malgré tout insuffisantes pour permettre de responsabiliser l’entreprise transnationale. Les figures classiques du droit que sont le groupe de société et l’entreprise, ne sont pas capables de la réceptionner en tant que sujet responsable. Le paradigme de l’entreprise transnationale est ainsi fragilisé par le droit qui ne permet pas de transformer leur organisation économique en figure juridique386. La flexibilité de son organisation rend en effet ses frontières insaisissables, si bien qu’il est devenu difficile, du point de vue juridique, de « percevoir ce qui relève de l’extérieur ou de l’intérieur387 ». Appréhendées sous l’angle du droit de la responsabilité, ces nouvelles

385 Nous nous référons ici à M. DESPAX qui notait, à propos de l’entreprise, que « sous une unité sémiotique, le concept de l’entreprise recouvre plusieurs réalités économiques sensiblement distinctes ». Constatons que le développant des activités de l’entreprise à l’international nous permet de faire le même constat concernant l’entreprise transnationale, M. DESPAX, L’entreprise et le droit, op. cit., p. 150.

386 A. SUPIOT relevait déjà, à propos des groupes de sociétés, qu’ils participaient

« d’une crise générale du paradigme de l’entreprise », A. SUPIOT, « Groupes de sociétés et paradigme de l'entreprise », op. cit., p. 627.

387 Ibidem, p. 159.

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formes d’organisation sont donc devenues l’expression d’une action collective dépourvue de responsabilité collective388. La question du siège de l’imputabilité se pose alors et, dans cette perspective, celle de la délimitation des frontières de l’entreprise transnationale prend toute son importance. Cette situation explique que les instruments qui se dégagent de la RSE, qu’ils soient d’origine privée ou publique, prennent en compte l’entreprise dans sa réalité organisationnelle. Ses frontières s’élargissent alors puisqu’elles correspondent à une réalité organisationnelle. En étudiant l’entreprise transnationale à travers les normes et instruments de RSE, c’est alors un nouveau paradigme de l’entreprise transnationale qui apparaît, non plus perçu à travers les catégories juridiques préexistantes, mais davantage à travers ses fonctions.

388 G. TEUBNER, Droit et réflexivité : L’auto-référence en droit et dans l’organisation, op. cit., p. 287 ; E. PESKINE, Réseau d'entreprises et droit du travail, op. cit.

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147. En tant que sciences d’organisation389, le droit organise la structure ainsi que le fonctionnement des entreprises. La détermination du champ d’application de ces règles nécessite de pouvoir établir ce qui relève du dedans et du dehors de l’entreprise. Pour cette raison, la société reste le support juridique de l’entreprise390, ce qui rend ses frontières déterminables. La réorganisation des sociétés en groupes puis en réseaux, développant des activités sur plusieurs pays, a toutefois créé une dissociation entre la réalité organisationnelle des entreprises et les règles juridiques, celles-ci étant devenues incapables de réceptionner ces nouvelles formes d’entreprises. Soumises à des règles de fonctionnement et de comportement différentes selon les pays sur lesquels elles conduisent leurs activités, ces entreprises transnationales n’ont aucune réalité juridique pour qui tente de les identifier à travers les catégories juridiques traditionnelles. En se concentrant sur la structure juridique des entreprises, le droit se révèle donc incapable d’encadrer le fonctionnement des entreprises transnationales et encore moins leur comportement dans la conduite de leurs affaires, dès lors qu’interviennent d’autres sociétés avec lesquelles elles sont en relation.

148. En visant l’entreprise au sens large, et non les sociétés, la RSE se démarque d’une approche centrée sur leur structure juridique pour se concentrer sur leur rôle au sein de la Société. C’est ce qu’il ressort des principes internationaux émanant des Etats, de même que des normes issues des entreprises et prises sur le fondement de la RSE. L’entreprise transnationale y est avant tout caractérisée à travers sa fonction sociale, ce qui la conduit à prendre en compte les divers intérêts qui cohabitent en son sein mais également à l’extérieur de ses murs. La détermination des frontières de l’entreprise transnationale est alors essentielle pour permettre d’évaluer l’étendue de sa responsabilité sociétale. Pour ce faire, les critères et principes juridiques traditionnels afférents à la détermination des

389 J. PAILLUSSEAU, « Le droit est aussi une science d'organisation », RTD com. 1989, p. 1.

390 Voir P. DURAND, « La notion juridique de l'entreprise », in Travaux de l'Association Henri Capitant, t. III, Dalloz, 1947 p. 67.

CHAPITRE 2. LA RSE SOURCE D’UN NOUVEAU