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SECTION I L’ENTREPRISE REDÉFINIE DANS SON OBJET PAR LA RSE

B. L’approche institutionnelle de l’entreprise renouvelée par la RSE

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interactions entre l’entreprise et son environnement fait partie intégrante de sa responsabilité. Appréhender l’entreprise à travers le prisme de la RSE conduit donc à remettre en cause la théorie contractuelle de l’entreprise. Une telle remise en cause a des implications bien plus que théoriques.

170. En effet, le droit tend à organiser les structures de l’entreprise tout en les encadrant, et plus généralement, il s’assure que les interactions entre les entreprises et les sujets de droits évoluent dans un cadre ordonné et sécurisé. Mais cette approche est elle-même sujette à débat, selon que l’on associe l’entreprise à un ensemble contractuel ou à une institution. La première école considère que chaque agent porte en lui la capacité à s’autoréguler et qu’à ce titre la liberté doit primer sur la règlementation; dans cette optique, l’encadrement juridique des relations économiques est réduit au minimum.

Selon la seconde école, l’entreprise est perçue dans sa dimension collective comme une institution au sein de laquelle des relations interagissent, organisées autour de pôles de pouvoirs. Le droit intervient alors pour encadrer ces relations et organiser ces pouvoirs.

Ces deux approches, éminemment connotées politiquement, sont le fruit d’un long travail doctrinal qui a d’abord fait émerger la notion d’entreprise dans l’univers juridique, qui a ensuite tenté de la qualifier et qui cherche aujourd’hui à l’encadrer.

171. C’est en s’appuyant sur les termes de la loi434 que la doctrine classique435 a d’abord analysé la société comme étant un contrat436. De ce point de vue, elle est avant (dir.), L’entreprise, une affaire de société, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1992, p. 29 ; C. THUDEROZ, Sociologie des entreprises, La Découverte, 3ème éd., 2010, p. 6, D. SEGRESTIN, Sociologie de l’entreprise, Armand Collin, 2ème éd., 1996, p. 198.

434 Art. 1832 du Code civil.

435 J. HAMEL, G. LAGARDE, A. JAUFFRET, Droit commercial, t. I, 2ème vol., Dalloz, 1980, n° 383, cité par J-P. BERTEL, « Liberté contractuelle et sociétés: essai d'une théorie du "juste milieu" en droit des sociétés », RTD com., 1996, p. 595. Pour une présentation des critiques apportées à cette théorie, voir J-P. BERTREL, « Le débat sur la nature de la société », in Droit et vie des affaires, études à la mémoire d'Alain SAYAG, Litec, Paris, 1997, p. 132 et s.

436 Ces auteurs rejoignent en cela les théories économiques de l’entreprise. C’est en 1937 que la question est posée par Ronald COASE, dans son article depuis devenu célèbre, sur la nature de la firme. Il s’interroge sur ce qu’est une entreprise et sur les raisons pour lesquelles les entreprises existent. Dans un contexte d’économie de marché, nul besoin a priori d’organisation structurée pour échanger, la coordination se faisant par le marché.

En s’opposant à la théorie néo-classique, COASE démontre que l’entreprise existe car le

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tout le fruit d’un accord de volonté entre les actionnaires. La société n’a donc pas d’intérêt supérieur et son encadrement juridique ne peut servir qu’à favoriser l’intérêt des actionnaires. L’une des conséquences principales de cette doctrine est de limiter la société à un simple acte juridique, excluant toutes les parties prenantes de l’entreprise.

L’entreprise n’a alors qu’une finalité : satisfaire les intérêts des actionnaires, les intérêts des autres parties prenantes n’étant pas pris en compte. Aussi, les conflits d’intérêts pouvant naître de l’exécution de ce contrat doivent se régler en fonction de cette finalité.

En cherchant à expliquer la nature juridique de la société, les partisans de cette thèse contractuelle se sont opposés aux défenseurs de la thèse institutionnelle. Ses défenseurs analysent la société comme un groupement auquel participent plusieurs « parties prenantes », parties ou non au contrat de société. Cette approche a l’avantage d’expliquer les raisons pour lesquelles le législateur et le juge font parfois prévaloir l’intérêt supérieur de la société ou celui des tiers, sur ceux des associés. En appliquant la théorie publiciste de l’institution, la théorie institutionnelle de l’entreprise a cherché à concilier travail et capital au sein d’une même organisation. Ainsi selon DESPAX, deux conceptions s’opposent. Une vision restrictive se réfère à l’entreprise capitaliste,

« essentiellement caractérisé par le recours au travail étranger et par le mobile lucratif qui inspire son activité ». Le seul objectif de cette entreprise serait le profit. Face à cette conception restrictive s’opposerait une vision extensive, celle retenue par cet auteur, selon laquelle capital et travail ne seraient pas mis en opposition et dont le mobile ne se limiterait pas au profit437. En allant plus loin, J. PAILLUSSEAU considère l’entreprise comme d’essence économique et sociale. Il recherche donc une définition d’après une

« observation réaliste de l’entreprise », ce qui l’amène à la définir à travers deux de ses aspects qu’il considère comme fondamentaux : l’entreprise est d’abord une activité (activité de production, de transformation et de distribution de biens et de services). En ce sens, elle est une organisation économique. Conséquence, de ce premier aspect, l’entreprise est également la réunion de divers intérêts qu’elle fait naître438 et est recours aux contrats est moins coûteux que l’échange direct entre agents du marché. Elle est une coordination économique alternative au marché. L’entreprise y est représentée comme un système de relations contractuelles entre agents économiques. R. COASE, L’entreprise, le marché et le droit, éd. d’Organisation, 2005, 245 p.

437 M. DESPAX, L’entreprise et le droit. L.G.D.J., Coll. bibliothèque droit privé, 1956, p. 7-8.

438 J. JUGAULT (coord.), L'entreprise: nouveaux apports, éd. Economica, coll. Travaux et recherches, série Faculté des sciences juridiques de Rennes, 1987, pp. 16-17.

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à ce titre, un centre d’intérêts. Ces intérêts sont ceux des travailleurs, des créateurs, des bailleurs, des collectivités locales etc. sa nature est donc économique et sociale et non juridique, ce qui ne veut pas dire pour autant que le droit puisse l’ignorer. Bien au contraire puisque de la détermination de cette nature dépend la reconnaissance de la légitimité à certaines personnes à se voir attribuer des droits à l’égard de l’entreprise439. Il peut s’agir d’un droit à s’immiscer dans la gestion de l’entreprise, mais également de la possibilité de voir leurs intérêts être pris en compte par un juge au détriment des autres intérêts, en présence d’un conflit pouvant naître autour de la gestion ou d’une décision prise par l’entreprise440.

172. La RSE s’inscrit dans cette perspective. Elle conduit à dépasser le débat portant sur la nature contractuelle de l’entreprise puisqu’elle porte en elle la prise en compte des relations existantes entre l’entreprise et son environnement, que celles-ci lui soient

439 Il peut s’agir par exemple du droit à l’information ou à la consultation auprès des instances décisionnelles de l’entreprise.

440 Cette approche de l’entreprise se retrouve dans les sciences économiques. Une des premières approches des fondements de la firme a consisté à s’interroger sur les objectifs de la firme. Des auteurs comme BAUMOL en 1967 vont ainsi ouvrir une brèche en émettant l’hypothèse que l’objectif de la firme n’est pas de maximiser le profit mais le taux de croissance des ventes. L’entreprise commence à avoir un autre objectif que le profit. Peu à peu l’entreprise est pensée comme une « organisation complexe composée de groupes différents dont les objectifs ne sont pas identiques». Il ressort de cette approche que l’entreprise n’a pas un seul objectif mais « un ensemble d’objectifs hiérarchisés ». La firme poursuit donc, selon ces auteurs, un objectif de satisfaction des membres du groupe. Les objectifs sont pécuniaires et non pécuniaires. Dans cette lignée, SIMON en 1979, qui analyse quant à lui les processus de décision dans l’entreprise, pose comme hypothèse que l’entreprise ne cherche pas le meilleur résultat mais un résultat satisfaisant, seule procédure permettant de satisfaire tous les membres du groupe. C’est ce qu’on appelle la théorie de la rationalité. De leur côté, des économistes tels CYERT et MARCH proposent une théorie dite behaviouriste en 1963 qui admet que la firme constitue une organisation composée d’individus ayant des intérêts divergents. Elle est le lieu de fortes oppositions et de négociations. Cette théorie vise à proposer des outils pour favoriser les prises de décisions internes permettant d’atteindre les objectifs de la firme.

CHANDLER quant à lui, propose d’expliquer l’entreprise à travers l’histoire. Il en ressort que plus qu’une organisation, l’entreprise peut être abordée comme une véritable institution. Une définition de l’entreprise, correspondante à cette thèse, peut alors être proposée. Elle est « une institution économique regroupant un ensemble intégré d’unités fonctionnelles et opérationnelles, et administrée par une hiérarchie managériale à plusieurs niveaux ». Par opposition au marché, l’entreprise a donc une fonction de coordination d’activités et d’allocation de ressources. Selon lui, la firme s’impose comme institution durable. Apparaissant comme une alternative au marché, elle devient une véritable institution, B.CORIAT, O. WEINSTEIN, Les nouvelles théories de l’entreprise, le livre de poche, 1995, p. 20 et s.

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internes ou externes. Elle révèle ainsi les divers intérêts qui peuvent exister autour de l’entreprise. Il est important d’ailleurs de constater que les débats portant sur l’objet de l’entreprise ne prennent pas en compte l’appropriation par les entreprises elles-mêmes d’une approche ou d’une autre. Or, en choisissant d’intégrer des préoccupations extra- économiques à leurs activités ainsi qu’à leur stratégie, ce sont les entreprises elles- mêmes qui participent à consacrer une finalité véritablement sociétale à leur objet. Cette approche se traduit concrètement par une prise en compte des parties prenantes de l’entreprise, par l’entreprise elle-même, comme nous l’avons vu. C’est donc une approche sociale de l’entreprise, dont l’une des finalités premières reste la recherche du profit tout en intégrant « les préoccupations en matière sociale, environnementale, éthique, de droits de l’Homme et de consommateurs dans leurs activités commerciales et leur stratégie de base (…)441 » qui est consacrée par la RSE. En se concentrant sur les effets de l’activité de l’entreprise sur la Société en général, la RSE participe indéniablement à enrichir l’objet de l’entreprise car elle interroge sa fonction sociale et plus spécifiquement la prise en considération du lien existant entre les activités des entreprises et la Société au sein de laquelle elles s’inscrivent. Une telle démarche, proposée par les instances internationales et les Etats, impulsée par la société civile et surtout suivie par les entreprises, marque une remise en cause très nette de la théorie contractuelle de l’entreprise par la RSE.

441 Commission européenne, « Responsabilité sociale des entreprises : une nouvelle stratégie de l’UE pour la période 2011-2014 », Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Commission Européenne, Bruxelles, 25 oct. 2011, COM(2011) 681 final.

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CONCLUSION SECTION 1

173. Le droit ne prévoit pas d’obligation spécifique pour les sociétés ou leurs dirigeants de prendre en compte les impacts de leurs activités sur la Société en général, ni sur les tiers, que ces activités se déroulent en France ou à l’étranger. Aucune disposition ne commande non plus aux entreprises de prendre en compte les intérêts des personnes susceptibles d’être affectées par leurs décisions stratégiques, autres que les parties prenantes « traditionnelles ». Or, en les incitants à prendre en compte les effets de leurs décisions et de leurs activités sur leur environnement, la RSE conduit les entreprises à s’intéresser à de « nouvelles » parties prenantes. Cet élargissement du cercle des parties prenantes favorise une approche plus globale de l’entreprise. C’est en réalité le rôle de l’entreprise vis-à-vis de ces parties prenantes et donc de la Société en général qui est interrogé, ce qui conduit à une redéfinition de l’objet de l’entreprise en l’ouvrant vers de nouvelles préoccupations sociétales. De ce point de vue, la RSE remet en cause l’idée jusqu’alors dominante de la recherche de profit comme finalité exclusive de l’entreprise et ses conséquences sur les droits et obligations de chacune des parties prenantes de l’entreprise. L’approche institutionnelle de l’entreprise devient alors le fondement d’une nouvelle compréhension de l’entreprise, sa dimension sociétale étant mise sur le même plan que sa dimension économique. Au vu des théories exposées précédemment, cette idée n’est pas nouvelle. Ce qui l’est en revanche c’est la recherche d’une réconciliation

« de l’économie et du social qui deviennent deux priorités, complémentaires plus qu’antinomiques442 ». C’est cette réconciliation qui permet de rééquilibrer les relations entre l’entreprise et ses parties prenantes, en se concentrant davantage sur les intérêts en présence et donc sur son objet social, que sur sa structure juridique. Or, en identifiant l’entreprise à travers son objet social, ses frontières s’en trouvent redéfinies. En effet, il ne s’agit plus tant pour l’entreprise de se préoccuper exclusivement de sa pérennité financière, et donc de satisfaire uniquement les personnes intéressées par cet objet, mais bien d’aller au-delà. L’élargissant du cercle des intérêts qui entourent l’entreprise conduit ainsi à élargir les frontières de l’entreprise qui ne sont plus tant définies par des structures juridiques que par l’influence d’une entreprise sur ses parties prenantes.

442 A. BAREGE, L’éthique et le rapport de travail, Thèse, LGDJ, T.47, 2008, p. 137.

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SECTION II - L’ENTREPRISE TRANSNATIONALE