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INTRODUCTION

B. Tentative de définition de l’entreprise transnationale

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diamants a permis d’alimenter de nombreux conflits, notamment en Afrique, en permettant le financement des armes98.

36. L’organisation des entreprises transnationales et de leurs relations d’affaire soulèvent de nombreuses difficultés liées notamment à la détermination des responsabilités lorsqu’un dommage survient ou qu’une violation est commise par l’une des sociétés appartenant à un groupe ou à un réseau. En droit positif, l’appartenance ou le lien à un groupe ou à un réseau est en effet sans incidence sur les responsabilités des autres sociétés. En appréhendant l’entreprise dans son organisation globale ainsi que dans sa fonction sociétale au-delà des structures juridiques, la RSE propose une nouvelle approche de l’entreprise transnationale.

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L’entreprise désignera ainsi « les firmes, sociétés de personnes, sociétés anonymes, compagnies, autres associations, personnes physiques et morales, ou toute combinaison de ces formules, quel que soit leur mode de création ou de contrôle ou de propriété, qu’elles soient privées ou d’État, qui exercent des activités commerciales; il englobe aussi leurs succursales, filiales, sociétés affiliées ou autres entités directement ou indirectement contrôlées par elles ».

38. Bien que le qualificatif « multinational » soit le plus communément utilisé pour désigner la dispersion géographique de leurs activités à l’international, nous préfèrerons celui de « transnational », retenu par les Nations Unies102. Le premier renvoie à l’idée d’une multiplicité de nationalités, alors que le second renvoie davantage à l’idée de traverser plusieurs pays, ce qui permet d’envisager que l’action de ces entreprises soit dirigée depuis un ou plusieurs centres de décisions. En réalité, tant les Nations Unies que les auteurs eux-mêmes utilisent l’un ou l’autre de ces qualificatifs pour désigner « les entreprises formées d’un centre de décision localisé dans un pays et de centres d’activité, dotés ou non de personnalité juridique propre, situés dans un ou plusieurs autres pays 103 ».

39. Dans tous les cas, plus la structure de l’entreprise est vaste et complexe et plus la répartition et l’organisation du pouvoir entre ses membres est complexe. L’étendue du pouvoir varie en fonction du modèle organisationnel choisi. Or, ce modèle a évolué. Si les groupes de sociétés ont au départ été marqués par une forte intégration verticale et donc construits autour d’un modèle hiérarchique, la diversification des tâches des entreprises a dû laisser la place à une organisation plus horizontale, moins contraignante.

Dans les deux cas, le pouvoir est éparpillé entre les diverses sociétés de l’organisation et son étendue varie selon le socle sur lequel il repose. L’exercice de ce pouvoir n’est pourtant assorti d’aucune responsabilité. Au sein d’un groupe de sociétés, la détention du pouvoir de décision est réparti entre les diverses filiales et la société-mère. Ce pouvoir peut trouver sa source dans la nature même de la société qui reste une personne morale

102 Pour le choix du qualificatif de « multinational », voir par exemple P. MERCIAI, Les entreprises multinationales en droit international, Bruylant, Bruxelles, 1993, p. 36 et s. ; pour celui de « transnational », voir P. DAILLIER, A. PELLET, Droit international public, 7ème éd., Paris, LGDJ, 2002p. 646 et s.

103 Institut de Droit International, Les entreprises multinationales, 2ème Commission, Rapporteur B. GOLDMAN, Session d’Oslo, 1977.

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autonome, mais elle peut également reposer sur une délégation de pouvoir104. L’étendue de ce pouvoir varie en fonction du degré de participation au capital. Cela entraîne soit une véritable prise de contrôle de la société dominante sur la gestion de la société dont les titres ont été acquis ou souscrits ; soit une « simple » participation dans cette société, permettant de créer des liens durables, mais sans exercer d’influence notable sur sa gestion105. L’organisation du groupe repose ainsi traditionnellement sur le contrôle et l’influence exercés par une société-mère sur ses sociétés filiales et sur les sociétés auprès desquelles elle détient des participations.

40. Au-delà d’une approche purement quantitative du contrôle, les participations et l’exercice du pouvoir qui en découle peuvent en réalité prendre plusieurs formes. La société-mère peut prendre part à la gestion de sa, ou de ses filiales, se contenter de fixer les grandes orientations stratégiques du groupe, ou encore se limiter à jouer un rôle exclusivement financier (cas des holdings par exemple) ; les sociétés du groupe peuvent elles-aussi détenir des participations dans d’autres sociétés, créant ainsi une filialisation en cascade, ou n’être liées que par des contrats ; des sociétés appartenant à des groupes différents peuvent également décider de créer une « filiale commune », aussi appelée

« société de société » afin de créer un service commun ou développer des activités de recherche. Dans tous les cas, le pouvoir est réparti entre les différentes sociétés du groupe, ce qui rend la détermination de son détenteur plus difficile106. Cela est encore plus vrai lorsque l’entreprise est organisée autour du contrat.

104 Sur la délégation de pouvoir au sein des groupes de sociétés, voir notamment C.

MALECKI, « Les dirigeants des filiales », Rev. sociétés, juillet 2000, pp. 453 et s.; M.

GIACOPELLI-MORI, « La délégation de pouvoirs en matière de responsabilité pénale du chef d'entreprise », Revue de science criminelle, 2000 p. 525.

105 C’est notamment le cas lorsqu'une société possède dans une autre, une fraction du capital comprise entre 10 et 50 %, cette participation ne lui conférant pas de droits de vote suffisant pour exercer une influence sur la stratégie de la société. En revanche, une société détenant directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droit de vote dans les assemblées générales de cette société peut être considérée comme contrôlante. Cela lui confère en effet le pouvoir de se prononcer sur les orientations stratégiques de ladite société (Article L. 233-2 du Code de commerce).

106 Chaque groupe de sociétés adopte en réalité son propre modèle décisionnel. Certaines entreprises choisissent une concentration du pouvoir, tandis que d’autres préfèrent fonctionner en réseau. Les grands groupes de sociétés tendent néanmoins à fragmenter

« les processus décisionnels », rendant la détermination de leurs contours floue. Sur cette question et la notion de centre de décision économique, voir C. GAUDIN, La notion de

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41. Ces diverses formes de relations que peuvent entretenir des sociétés entre elles sont prises en compte par la RSE107. Les normes de RSE visent en effet les entreprises transnationales dans leur ensemble, sans aucune distinction des sociétés qui les composent. C’est toute l’organisation qui doit globalement agir de manière responsable, la prise en compte des partenaires commerciaux étant à cet égard particulièrement importante. Chaque société reste malgré tout responsable de ses propres décisions et de l’organisation de ses activités. La RSE invite ainsi à appréhender l’entreprise selon une approche systémique, c'est-à-dire par une prise en compte tant des sociétés prises individuellement, que de l’organisation qu’elles forment à travers leurs diverses relations commerciales. Cette approche répond aux problèmes sociétaux que peuvent soulever l’organisation complexe des entreprises transnationales et qui peut d’ailleurs impliquer l’entreprise toute entière.

42. Le principe d’autonomie juridique des personnes morales108 s’oppose pourtant, en principe, à une telle démarche. Technique propre au droit des sociétés, ce principe ne se limite pas à favoriser l’organisation du patrimoine des sociétés, sa protection ainsi que son développement. Ses effets peuvent aller bien au-delà. Le maintien du principe d’autonomie juridique en présence de sociétés véritablement autonomes d’un point de vu décisionnel, organisationnel et financier, ne pose pas de difficultés. En revanche, en présence de sociétés dont les relations sont tellement imbriquées qu’elles en perdent cette autonomie, interroge les juristes depuis plusieurs années. Cette interrogation se pose avec acuité en présence d’un réseau d’entreprises dont les relations ne se limitent pas à de simples échanges commerciaux mais sont de véritables relations d’interdépendances109. Le recours à la technique de la personnalité morale a alors pour effet d’éclater l’entreprise et tous ses éléments constitutifs. Dans une relation de dépendance assortie d’un rapport de domination, le maintien de l’autonomie juridique de la société dominée n’a plus qu’une utilité : lui faire supporter seule, les risques

centre de décision économique et les conséquences qui s’attachent, en ce domaine, à l’attractivité du territoire nationale, Rapport d’information n°347, Tome 1, Sénat, juin 2007, p. 59 et s.

107 Voir I. DESBARATS, « RSE et nouvelles formes organisationnelles des entreprises : quels enjeux ? », Revue des sociétés, Journal des sociétés, 2009, 69, pp. 15-22.

108 Sur cette question, voir infra, p. 44 et S. et p. 137 et s.

109 Voir infra, p. 55 et s.

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financiers110 liés à son activité, mais dont tire profit la société dominante. Le principe d’autonomie des sociétés devient ainsi un outil au service de l’éclatement de l’entreprise, ce qui explique que le droit ait encore du mal à définir l’entreprise tout autant que l’entreprise transnationale comme un ensemble, puisque cela aurait pour effet de nier l’existence des sociétés « membres » de cet ensemble.

43. La difficulté s’accroît lorsqu’il s’agit de prendre en compte le caractère transnational de leurs activités. L’entreprise transnationale se caractérise en effet avant tout par une internationalisation de ses centres de décisions et de production. Cette internationalisation peut prendre trois grandes formes111: il peut s’agir de relations entre fournisseurs et clients, dans un processus d’exportation qui participe au développement international d’une entreprise. Cette relation peut être indirecte, en ayant recours à des intermédiaires, et créer ainsi une chaîne de contrats, également appelée « chaîne de sous- traitance ». L’internationalisation de l’entreprise peut également être directe, via une relation entre une société-mère et sa filiale. Il s’agit alors d’un investissement direct étranger qui passe par exemple par une prise de participation dans une société locale ou par la création d’une filiale locale. Enfin, les systèmes contractuels de transfert de savoir-faire sont également un moyen d’internationaliser une entreprise, par la signature de contrats de franchise ou encore la création de joint-venture.

44. Cet éclatement territorial s’analyse à plusieurs niveaux de l’entreprise. Au niveau des centres de décision tout d’abord, ils peuvent fonctionner en réseaux, organisés autour d’un centre de décision « monde », de centres de décision régionaux, de centres de décision subrégionaux, de centres de décisions spécialisés par produit ou service et de centres de décision administratifs spécialisés servant d’appui à plusieurs filiales du groupe. Au niveau des centres de production, ces derniers se situent sur des territoires différents des lieux de consommation et souvent même des lieux de décision, créant un éparpillement géographique des fonctions de l’entreprise. Une même entreprise se retrouve dès lors composée d’une pluralité d’entités ayant chacune une nationalité

110 G. J. VIRASSAMY, Les contrats de dépendance ; essai sur les activités professionnelles exercées dans une dépendance économique, Paris, LGDJ, 1986.

111 U. MAYRHOFER, Les rapprochements d’entreprises, une nouvelle logique stratégique ?, Peter Lang, coll. Presses Universitaires européennes, Berne, 2001, pp. 83 et s.

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différente, ce qui lui confère son caractère mondial. La question de la dispersion géographique de l’actionnariat accentue le caractère international de ces entreprises et crée une « déconnexion entre d’une part, la nationalité de la cotation d’une grande entreprise et, d’autre part, son comportement sur le territoire correspondant »112. Ainsi en 2009, le taux de détention des entreprises du CAC 40 par des non-résidents s’élevait par exemple à 42,3%113 et a depuis encore augmenté114.

45. La particularité de ces entreprises tient finalement « à une multi localisation des activités transnationales et à l’existence d’un système unique de prise de décision permettant des politiques cohérentes et une stratégie commune arrêtées par un ou plusieurs centres de décision, système dans lequel les entités sont liées les unes aux autres, en raison d’un rapport de propriété ou d’une autre manière, de telle sorte qu’une ou plusieurs d’entre elles soient en mesure d’exercer une influence significative sur les activités des autres entités »115. La dispersion géographique de ces entreprises ne les empêche donc pas de s’organiser, laissant émerger des entreprises à structure complexe.

Les décisions prises au niveau de la maison-mère peuvent avoir des effets au niveau du lieu d’implantation de la filiale et vice et versa ; de même, les décisions prises au sein d’une relation commerciale, qu’il s’agisse d’une relation fondée sur le contrat ou sur la détention de parts sociales, peuvent produire des effets au-delà de la société elle-même, ce que la RSE invite à prendre en compte.

112 C. GAUDIN, La notion de centre de décision économique et les conséquences qui s’attachent, en ce domaine, à l’attractivité du territoire national, op. cit., p.68. Selon certains auteurs, le problème de la nationalité des sociétés d’une même entreprise multinationale soulève la question de « l’allégeance » de chaque société de l’entreprise, à son Etat d’accueil. Comme le note ainsi M. LIZEE : « Ce lien d’allégeance place chaque filiale dans une situation conflictuelle, tiraillée qu’elle est entre deux fidélités.

Comment les filiales prendraient-elles pour de bon en considération l’intérêt local, alors que leurs propres avantages sont sacrifiés à ceux de la société-mère, qui décide en dernier ressort en tenant généralement peu compte à la fois de l’intérêt social de ses filiales et de l’intérêt national des Etats d’accueil, intérêts qui, sans coïncider nécessairement, sont étroitement unis », M. LIZEE, « Droit des multinationales: une impasse juridique? », Revue québécoise de droit international, 1985, p. 275.

113 J. LEROUX, « La détention par les non-résidents des actions des sociétés françaises du CAC 40 à fin 2009 », Bulletin de la Banque de France, n° 180, 2ème trimestre 2010, pp.19-26.

114 « Statistiques », Bulletin de la Banque de France, n° 195, 1er trim. 2014, S12.

115 F. RIGAUX, Les situations juridiques individuelles dans un système de relativité générale, Cours général de droit international public, Recueil des Cours La Haye, vol.

213, 1989, p. 337.

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46. Les textes élaborés au titre de la RSE proposent en effet aux entreprises le respect de principes organisationnels, de gestion et de transparence. Leur contenu n’est à cet égard pas nouveau. Ce qui l’est en revanche, c’est la prise en compte de facteurs sociétaux dans les processus décisionnels des entreprises116 à l’échelle de leur organisation et dans leurs diverses relations, surtout lorsque celles-ci sont internationales et échappent alors au contrôle étatique. En proposant une nouvelle manière de saisir les entreprises transnationales, la RSE pourrait bien influencer le droit sur la manière de les rendre responsables.

§ 3 . Les entreprises transnationales, leur responsabilité et le droit

47. Il incombe en premier lieu aux Etats de protéger, de promouvoir et de garantir le respect des droits de l’Homme, comme le rappellent les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme117. Ce sont également les Etats qui définissent traditionnellement le cadre juridique des échanges économiques et commerciaux. La libéralisation de ce cadre leur a pourtant fait perdre le pouvoir de maîtriser et de sécuriser ces échanges, laissant dans une large mesure, les entreprises

116 Les éléments à prendre en compte dans leurs décisions d’investissement, leurs choix stratégiques ou encore la sélection de leurs partenaires, ne doivent plus se fonder uniquement sur des critères économiques mais doivent intégrer également des préoccupations sociétales. S’inscrire dans une démarche de RSE commande donc, pour les entreprises, de prendre en compte, dans leurs décisions économiques, les attentes environnementales et sociales de leurs parties prenantes, mais également et surtout de ne pas nuire et de ne pas porter atteinte aux intérêts de ces mêmes parties prenantes (Sur la notion de « partie prenante », voir infra, p. 106). H. BOWEN définit à cet égard la responsabilité sociale des managers comme le fait de « poursuivre les politiques, prendre les décisions ou suivre les orientations désirables en termes d’objectifs et de valeurs de notre société », H. BOWEN, Social Responsabilities of the Businessman, Harper, 1953, p. 6, cité par A. ACQUIER, J-P. GOND, « Aux sources de la responsabilité sociale de l’entreprise : à la découverte d’un ouvrage fondateur, Social Responsabilities of the Businessman d’Howard Bowen », Finance Contrôle Stratégie, Vol. 10, n°2, juin 2007, p.

7. Voir également I. DAUGAREILH, « Introduction », in I. DAUGAREILH (dir.) Responsabilité sociale de l'entreprise transnationale et globalisation de l'économie, éd.

Bruylant, Bruxelles, 2010, p. IX

117 Conseil des droits de l’hommes des Nations Unies, Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme : mise en œuvre du cadre de référence « protéger, respecter et réparer », Rapport du Représentant spécial du Secrétaire général chargé de la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, John RUGGIE, A/HRC/17/31, 21 mars 2011.

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transnationales s’autoréguler118. Aussi, alors que les individus s’en référaient initialement aux Etats, garants de l’intérêt général et de l’ordre public, pour régler leurs différends, c’est aujourd’hui aux entreprises qu’il est demandé directement des comptes.

48. Dans un contexte d’économie mondiale libéralisée, la RSE affirme et assoit finalement la place et le rôle des entreprises dans notre Société119. Qu’elles se comportent ou non en acteur économique responsable et qu’elles soient ou non responsables de leurs actes, de leurs décisions et de leur organisation complexe, la RSE modifie avant tout le paradigme de l’entreprise. Elle encourage à appréhender l’entreprise non comme un acteur isolé dont le seul but serait la recherche de profits, mais à la saisir à travers son environnement et dans toute son organisation, démarche qui n’est nullement retenue aujourd’hui par le droit.

49. L’approche est loin de n’être que politique ou même philosophique. La manière d’aborder l’entreprise conditionne en effet le cadre juridique au sein duquel elle évolue.

Or, celle-ci est, à l’image de l’organisation de notre système juridique et même de la discipline juridique : fragmentée. La société, seul « être » juridique, reste le dénominateur commun aux diverses disciplines juridiques. L’entreprise quant à elle, loin d’être définie, est abordée différemment selon les objectifs que poursuivent chacune des branches de droit. Autant dire qu’elle reste imperméable à toute tentative d’encadrement uniforme et cohérent. De manière générale, l’entreprise n’est donc pas pensée, étudiée, ni abordée par le juriste, dans sa relation à la Société. La RSE appelle en revanche à le faire. Dans cette perspective, la société, personne morale, n’est plus l’unique point d’ancrage des règles juridiques applicables à l’entreprise. C’est toute l’organisation des relations commerciales de chaque société qui doit être prise en compte, peu importe que ce soit à travers le prisme du droit social, du droit de la concurrence ou du droit fiscal.

Cette figure floue que constitue pour le juriste l’entreprise transnationale prend ainsi forme sous l’impulsion de la RSE qui concourt à dessiner les contours de son organisation. Afin d’exercer son activité de manière responsable, l’entreprise doit en effet modifier son fonctionnement, son organisation. Elle doit affiner ses modèles de

118 Pensons par exemple à la lex mercatoria (sur cette question, voir infra, p. 307 et s) ; F. OSMAN, Les principes généraux de la Lex mercatoria, contribution à l’étude d’un ordre juridique anational, LGDJ, 1992.

119 Voir par exemple D. COLLE, Un monde d’entreprises, op. cit., p. 305 et s.

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gestion, faire participer les travailleurs à cette nouvelle politique, organiser les relations contractuelles afin que celles-ci ne contredisent pas ses propres engagements, mettre en place des systèmes de contrôle dans toute l’organisation, ce qui implique de consolider ses relations avec ses partenaires, maîtriser sa chaîne de production etc.

50. Le droit s’en trouve bouleversé, car loin de n’être qu’une théorie, la RSE engendre la production de normes et d’outils qui concrétisent une évolution des règles et de leur contenu. Qu’il s’agisse tant de la manière d’appréhender l’organisation de ces relations et donc de l’entreprise, que des règles qui lui sont applicables, la RSE pourrait bien ainsi bousculer les cloisons posées par des années de théorie juridique. Les séparations entre les matières de droit et les incohérences dans leur manière d’aborder l’entreprise sont interrogées ; le droit de la responsabilité et les schémas traditionnels de l’imputation sont remis en cause ; la manière même de construire le droit de la responsabilité sur une logique réparatrice plutôt que préventive est largement questionnée par la RSE. Les normes prises au titre de la RSE interrogent les théories classiques du droit portant sur la hiérarchie des normes notamment; elles renforcent la régulation, sorte de système parallèle à la règlementation, encore peu connue des juristes, lesquels restent formés à l’existence de règles de droit « dur ». Toutes les branches du droit sont finalement appelées à être influencée par la RSE. Qu’il s’agisse du droit des sociétés, du droit du travail, du droit de la concurrence, du droit fiscal, du droit de l’environnement, du droit de la consommation, du droit des contrats, mais également du droit international public, du droit international économique, et du droit européen, ou encore du droit privé et du droit public, la manière de saisir l’entreprise et de l’encadrer sont appelées à évoluer au contact de la RSE.

51. Aussi nous faut-il dès à présent préciser l’objet de cette recherche qui ne portera pas sur la notion de RSE, qui a déjà fait l’objet de nombreux travaux120, mais sur ses effets sur notre droit. C’est donc une méthode systémique qui a été choisie pour aborder ce sujet. Il s’agit en effet d’étudier un phénomène dans sa globalité et sa complexité,

120 Voir par exemple F. MORIN, La régulation sociale des sociétés transnationales, Université Aix-Marseille III, 14 déc. 2007; E. DEHERMANN-ROY, Les codes de conduite et les labels sociaux, Université des sciences sociales Toulouse I, janv. 2004.