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SECTION I L’ENTREPRISE TRANSNATIONALE ÉCLATÉE PAR LE DROIT

A. Une structure juridique morcelée

67. La prééminence de certains principes et techniques juridiques tels que le principe d’autonomie juridique (1), le contrat (2), ou la souveraineté des Etats (3), permettent aux entreprises transnationales d’échapper à tout contrôle étatique. De la sorte, le droit participe à l’éclatement structurel de l’entreprise et empêche de saisir ses nouvelles formes organisationnelles. Paradoxalement, le droit devient donc un obstacle à l’encadrement juridique de l’entreprise complexe organisée internationalement.

1) Un éclatement favorisé par le principe d’autonomie juridique

correspondant à l’ensemble des opérations permettant à une entreprise d’organiser ses relations commerciales.

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68. Le droit des sociétés offre à l’entreprise les outils de sa transformation. Au cœur des diverses formes d’organisation de l’entreprise, rappelons que se trouve la société.

Consacrée par la loi du 24 juillet 1966 pour les sociétés commerciales, et celle du 4 janvier 1978 pour les sociétés civiles, la personnalité juridique est accordée par la loi aux sociétés immatriculées. C’est donc une approche fictive de la personnalité juridique qui a été choisie par le législateur, contre l’approche réaliste adoptée par le juge quelques années plus tôt145.

69. En tant que personne morale, la société détient un patrimoine propre, distinct de celui de ses membres, ce qui lui confère une existence juridique autonome. Dès son immatriculation, la société devient donc une personne autonome. Son patrimoine est protégé de celui de ses membres, personnes physiques ou morales, qui ne peuvent utiliser les biens de la société à des fins personnelles sous peine d’être poursuivis pour abus de biens sociaux ; mais il est également protégé des éventuelles pertes financières dont peuvent être affectés le patrimoine de ses membres, qui ne peuvent atteindre le patrimoine de la société. L’acquisition de la personnalité juridique a ainsi pour principal objet de protéger le patrimoine d’une personne morale. Cette technique juridique permet à une société de prendre les risques nécessaires au développement de son activité puisque la responsabilité personnelle de l’entrepreneur est limitée à ses apports. Une fois la personnalité juridique accordée à la société, on parle indifféremment de société autonome juridiquement, d’indépendance de la société à l’égard de ses membres, de personnalité juridique autonome ou de patrimoine distinct de celui de ses membres.

Toutes ces expressions tendent à exprimer une même idée : l’existence d’un patrimoine propre à la société, distinct de celui de ses membres. L’autonomie ainsi acquise par la société, est totale.

145 Dans un arrêt de 1954, la Cour avait en effet consacré la théorie de la réalité de la personnalité morale en considérant que : « la personnalité civile n'est pas une création de la loi ; (…) elle appartient, en principe, à tout groupement pourvu d'une possibilité d'expression collective pour la défense d'intérêts licites, dignes, par suite, d'être juridiquement reconnus et protégés ; (…) si le législateur a le pouvoir, dans un but de haute police, de priver de la personnalité civile telle catégorie déterminée de groupements, il en reconnaît, au contraire, implicitement mais nécessairement l'existence en faveur d'organismes créés par la loi elle-même avec mission de gérer certains intérêts collectifs présentant ainsi le caractère de droits susceptibles d'être déduits en justice. », Cass. civ. 28 janv. 1954, Comité d'établissement de Saint-Chamond, D. 1954, p. 217, note G. LEVASSEUR.

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70. Appliquée à un groupement constitué de plusieurs personnes morales, la personnalité juridique offre une double protection à la société. Une protection interne d’abord, traditionnelle, le patrimoine de la société étant protégé de celui de ses membres.

Une protection externe146 ensuite, son patrimoine étant également protégé de celui des sociétés membres du groupement. Cette seconde protection nous intéresse tout particulièrement. Elle permet de protéger le patrimoine d’une société des pertes financières ou des dettes d’une autre société avec laquelle des relations étroites seraient entretenues par ailleurs du fait de l’appartenance à un même groupement. Cette séparation des patrimoines maintient le principe d’une responsabilité personnelle de chaque société, l’une ne pouvant être responsable des fautes ni des dettes de l’autre.

Interprétée formellement, la personnalité morale remplit à nouveau sa fonction protectrice et le raisonnement juridique s’arrête ici.

71. Pourtant, au sein d’une entreprise à structure complexe, des relations particulières se nouent, mêlant coopération, dépendance ou subordination. Que celles-ci soient fondées sur le capital ou le contrat, elles font intervenir un élément qui n’est pas pris en compte par la notion de personnalité juridique : le pouvoir. Les liens de coopération qui devraient naître de relations entre sociétés autonomes du fait de l’appartenance à une même entreprise, laissent place en réalité à des relations de contrôle ou de dépendance qui ne sont prises en compte par le droit que de manière partielle. Or, de la détention de ce pouvoir ne découle aucune responsabilité, du fait d’une interprétation formelle de la notion de personnalité juridique. En combinant la technique de la personnalité morale à celle des contrats, des formes d’organisation hybrides peuvent donc être créées. La dispersion des risques entre différentes sociétés au sein d’un même groupement permet alors d’autant la dissémination des responsabilités. De même que le groupe est devenu

« une technique de responsabilité limitée organisée autour du principe d’indépendance

146 En application d’une interprétation stricte du principe d’autonomie juridique, la société, même membre d’un groupement, est isolée juridiquement du groupement, raison pour laquelle nous pouvons parler de protection vis-à-vis de l’extérieur. En revanche, selon une conception réelle de ce même principe, le groupement peut être reconnu et former une unité. La frontière externe n’est alors plus celle de la société prise isolément mais celle du groupement. A l’intérieur du groupement, l’intensité des relations entretenues entre les différentes sociétés peut en effet remettre en cause, non pas leur existence juridique propre, mais une partie de leur autonomie. Sur une distinction entre l’autonomie réelle et l’autonomie formelle, voir infra, p. 137.

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des sociétés »147, le réseau, construit à partir des mêmes outils, peut également prétendre aux mêmes avantages. L’entreprise à structure complexe pouvant revêtir ces deux formes simultanément, le principe d’autonomie juridique a alors pour effet de scinder artificiellement les relations nouées en son sein.

72. Cette relation de pouvoir qui s’introduit entre deux personnes morales

« autonomes » et qui permet la constitution d’une entreprise transnationale marque une différence fondamentale avec une société dotée de la personnalité juridique mais agissant de manière isolée sur le marché. Parler d’autonomie juridique des sociétés, de leur indépendance juridique, de séparation juridique, tout en gardant à l’esprit les relations de contrôle et de dépendance dans lesquelles certaines sociétés se trouvent les unes à l’égard des autres, interroge. Les relations qu’entretiennent des sociétés membres d’un même groupement peuvent varier en intensité. Le degré de cette autonomie varie selon que la société principale est liée avec les autres sociétés de l’organisation par un contrat ou par une participation au capital. Dans ce dernier cas, le contrôle de la société principale sur la société filiale pourra par exemple être plus étroit que sur une société satellite avec laquelle le lien est contractuel148. Dans tous les cas, qu’il s’agisse de relations de dépendance, de subordination ou d’étroite collaboration, elles ne peuvent à elles-seules remettre en cause l’indépendance juridique des sociétés, l’application du principe d’autonomie juridique étant régulièrement réaffirmée par les juges149. Ceci est vrai tant en matière de relation capitalistiques150, qu’en matière de relations contractuelles.

147 C. HANNOUN, Le Droit et les groupes de sociétés, coll. "bibliothèque de droit privé", T. 216, LGDJ, 1991, p. 158.

148 A. SOBCZAK, Réseaux de sociétés et codes de conduite, un nouveau modèle de régulation de travail pour les entreprises européennes, L.G.D.J., 2002, p. 36.

149 G. RIPERT, R. ROBLOT, Traité de droit commercial, T.1, L.G.D.J., 1989, pp. 550 et s.; Cass. com., 4 novembre 1987, Rev. Soc. 1988, p.393, note P. LE CANNU; Cass.

com., 24 mai 1982, Rev. Soc. 1983, p.361, note J. BEGUIN; Cass. civ. 21 novembre 1934, S. 1936, I, p.289, note H. ROUSSEAU; B. BOULOC, « Droit pénal et groupes d'entreprises », Rev. Sociétés, 1988, p.181.

150 Le contrôle exercé par une société du fait de la détention de capital ne peut avoir en lui-même, de conséquences juridiques sur l’autonomie des sociétés. Si le droit en tire des effets pour organiser les relations au sein d’un groupe, ce n’est jamais pour nier l’existence juridique des sociétés membres du groupe. Le droit utilise la notion de contrôle pour finalement imputer « à la société-mère des obligations incombant

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73. Dans le premier cas, l’existence d’un groupe ne peut pas à lui seul remettre en cause le principe formel d’autonomie juridique. Depuis l’arrêt Rozenblum151, la tendance jurisprudentielle152 est à la reconnaissance du groupe afin de lui appliquer des règles initialement conçues pour des sociétés autonomes153. De cette reconnaissance, les juges en ont tiré une exception au principe d’autonomie juridique des sociétés permettant, par exemple, que les opérations de trésorerie intra-groupes soient reconnues sans que les sociétés ne soient sanctionnées d’abus de biens sociaux, alors qu’en présence de sociétés n’appartenant pas à un groupe au titre des conditions révélées par le juge, une telle sanction aurait été prononcée. Les limites154 néanmoins apportées par le juge à la reconnaissance d’une telle exception, si elles trouvent une certaine justification dans le besoin des groupes d’organiser leurs relations, n’en apporte aucune sur le plan de la justice. En effet, depuis lors, le droit n’a attaché aucune conséquence juridique en termes de responsabilité, à cette reconnaissance155. C’est dire la portée considérable de cet arrêt sur l’état actuel du droit des groupes. Les juges rappellent régulièrement que la reconnaissance d’un groupe ne peut en soi, remettre en cause le principe d’autonomie juridique156. Pour autant, ils sont régulièrement amenés à constater le non respect de cette autonomie juridique par les sociétés elles-mêmes et donc à en tirer les

formellement à sa filiale ». Revenant sur la valeur explicative de la notion de contrôle, que lui ont attribué C. CHAMPAUD et J. PAILLUSSEAU, y voyant le fondement de la responsabilité de la société-mère, C. HANNOUN démontre que le contrôle n’explique que partiellement les limites posées aux effets de la personnalité juridique au sein des groupes ; voir C. HANNOUN, Le Droit et les groupes de sociétés, op. cit., p. 115 et s.

151 Dans cet arrêt, la Cour propose des critères permettant de déterminer le caractère exonératoire de l’existence d’un groupe et plus particulièrement, de l’intérêt du groupe, au regard du délit d’abus de biens sociaux ; Cass. crim., 4 fév. 1985, JCP G II, 1986, p.

20585, note J. DIDIER.

152 Alors qu’en 1946, l’arrêt LAMBORN, et les arrêts qui ont suivi, ont au contraire jugé de l’inopposabilité de la personnalité morale de la filiale, la condamnant ainsi solidairement aux côtés de la société-mère, du fait de l’unité de fait qui ressortait entre elles, tirant ainsi les conséquences juridiques de l’appartenance au groupe sur leur autonomie juridique. Sur cette question, voir C. HANNOUN, Le Droit et les groupes de sociétés, op. cit., p. 53.

153 Idem, p. 89.

154 Ibidem.

155 Sur cette question voir, J-N. DRUEY, « Pour la protection des mères, à quoi bon un droit sur les groupes de sociétés », Mélanges Y. Guyon, Dalloz, 2003, spéc. p. 354 et s.

156 Le fait d’appartenir à un même groupe ne suffit pas à établir la confusion des sociétés (Cass. com., 28 mai 1991, Bull. IV, no 182, p. 129).

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conséquences157. De son côté, le législateur, bien loin de remettre en cause ce principe, l’organise parfois, en encadrant les relations de contrôle et de coopération qui se nouent entre sociétés d’un même groupe. Nous verrons que de nombreux auteurs ont proposé des justifications à ces solutions exceptionnelles dans lesquelles « le voile de la personnalité » est levé158. Faute pourtant de faire l’unanimité, aucune d’entre elles n’a encore permis d’en révéler un principe général permettant d’adapter le droit à l’organisation complexe des entreprises. Cette situation est encore plus patente concernant les réseaux contractuels de sociétés, appelés, dans le langage commun, les

« chaînes de sous-traitance ».

74. La Cour de cassation a en effet eu l’occasion à plusieurs reprises, de rappeler que l’interdépendance économique entre sociétés d’un même réseau, même de distribution, n’écarte pas le principe d’indépendance juridique des sociétés membres159. Ce qui fait dire à J. MESTRE que « même économiquement ou familièrement imbriquées, (les sociétés) restent des personnes juridiques indépendantes, de sorte que l’inexécution contractuelle commise par l’une ne peut servir de base à une sanction prononcée contre l’autre160 ». D’ailleurs, les relations de franchise ne font pas exception au principe, aussi étroite soit leur collaboration. C’est peut-être pour réaffirmer un tel principe que les franchisés doivent indiquer aux consommateurs leur qualité de commerçant indépendant depuis 1991161. Une note de service venant préciser les conditions d’application de

157 C’est notamment le cas dans une situation d’abus de la personnalité, lorsque la technique de la personnalité juridique ne répond pas à sa finalité. C’est ce qu’illustrent l’application de la théorie de l’apparence, de la fictivité, ou encore celle de la confusion des patrimoines ; sur cette question, voir infra, p. 67 et s.

158 Les expressions « lever le voile de la personnalité » ou « percer le voile de la personnalité », sont traduites du droit américain et anglo-saxon. Pour une étude empirique des situations dans lesquelles les juridictions américaines et anglo-saxones décident de « percer le voile », voir R. THOMPSON, « Piercing the corporate veil : an empirical study », Cornell Law Review, 1991, 76, p. 1036 ; C. MITCHELL, « Lifting the corporate veil in the english courts : an empirical study, Company Financial and Insolvency Law Review, 1999, 3, p. 15.

159 L. AMIEL-COSME, Les réseaux de distribution, LGDJ, t. 256, 1995, p. 198.

160 SA Sep Liza et SARL The gift shop c/ SA Chanel, inédit, cité par J. MESTRE,

« Regain de faveur pour l’article 1165 du Code civil », RTDC, 1993, p. 122, cité par L.

AMIEL-COSME, Les réseaux de distribution, op. cit., p. 197.

161Arrêté du 21 février 1991relatif à l’information du consommateur dans le secteur de la franchise, JORF n°52, 1er mars 1991 p. 2963, abrogé par l’Arrêté du 14 janvier 2009 et devenu l’article L. 113-3 du Code de la consommation depuis la loi n°2012-1270 du 20 nov. 2012.

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l’arrêté ajoute que « cette indication ne doit cependant pas interférer avec l’identité commune du réseau franchisé162 ». C’est ici la démonstration qu’une reconnaissance de l’existence d’un réseau entre sociétés étroitement liées ne peut avoir per se, aucune incidence sur leur indépendance juridique.

2) Un éclatement facilité par le contrat

75. L’organisation de l’entreprise autour du contrat est née d’un besoin de flexibilité dans un contexte économique en récession, mais également d’un constat que l’entreprise ne peut « tout faire toute seule ou, en tout cas, tout bien faire »163. Face à la rigidité des formes juridiques d’organisation proposées par le droit, le contrat favorise alors la restructuration de l’entreprise. Mais derrière « des déguisements contractuels »164 se camouflent en réalité des ensembles organisés. Ce système d’organisation se caractérise par une décentralisation des fonctions de l’entreprise, créant des relations de dépendance et d’interdépendance variables, aux effets juridiques divers. L’externalisation ou la sous- traitance sont l’une des techniques d’organisation utilisées par les entreprises et qui peuvent être à l’origine de chaînes de contrats. L’entreprise est alors dite « éclatée » : chaque entité restant juridiquement autonome tout en étant intégrée à une même organisation. Le pouvoir peut y être décentralisé ou simplement déconcentré. Dans tous les cas, il est diffus et difficilement saisissable de l’extérieur. Il l’est d’ailleurs d’autant moins qu’à une dispersion du pouvoir se mêle un éclatement territorial de l’entreprise.

76. Ainsi, la technique contractuelle ne se limite plus à fixer le cadre d’une simple relation commerciale. Elle devient un outil permettant d’intégrer une société à un groupement plus vaste. Cette intégration se traduit par des échanges de salariés, des techniques de savoir-faire, et commande d’œuvrer dans le même intérêt. Le recours au contrat s’explique par un besoin de flexibilité auquel s’opposerait le maintien d’une hiérarchie rigide165, en permettant de changer rapidement et facilement l’organisation du

162 Cité dans L. AMIEL-COSME, Les réseaux de distribution, op. cit., § 220.

163 P-A. JULIEN, L. RAYMOND, R. JACOB, G. ABDUL-NOUR (dir.), L'entreprise- réseau: Dix ans d'expérience de la Chaire Bombardier, Presses de l'université du Québec, Québec, 2003, p. 9.

164 G. TEUBNER, « Nouvelles formes d'organisation et droit », op. cit. p. 51.

165 Voir en ce sens G. TEUBNER, « Nouvelles formes d'organisation et droit », op. cit., p. 53.

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réseau166. Les avantages tirés d’une organisation contractuelle des relations sont particulièrement criant en droit du travail. Confronté à ces réseaux contractuels, le droit du travail n’intervient qu’en aval, pour « atténuer les conséquences sociales de la décision prise par l’employeur de réorganiser l’entreprise167 ». Le recours à des sociétés extérieures pour accomplir une tâche autrefois réalisée en interne par ses salariés, soulève pourtant de nombreuses questions, comme celle de la détermination du véritable employeur168. En externalisant tout ou partie de sa production ou de ses services, l’employeur mobilise une force de travail qui ne se trouve plus sous sa subordination, ce qui ne justifie plus l’application des dispositions du droit du travail. Pourtant, selon le type de relations qu’entretient l’employeur avec ses nouveaux partenaires commerciaux169, ce dernier peut continuer à exercer un contrôle indirect sur les conditions de travail chez ses partenaires. Cette situation permet finalement à l’entreprise de « remplacer les contrats de travail par des contrats de droit commercial, qui lui permettent de continuer à exercer un contrôle sur l’activité économique sans que cela se traduise par une responsabilité juridique170 ». L’organisation en réseau de sous- traitance facilite ainsi la mobilisation des travailleurs par le recours non pas au contrat de travail en interne mais à un contrat commercial. Cette substitution a, par exemple, pour conséquence de faire baisser le seuil des effectifs en deçà desquels certaines dispositions

166 A. SOBCZAK rappelle d’ailleurs les théories économiques de l’économie des transactions qui prône cette flexibilité (A. SOBCZAK, Réseaux de sociétés et codes de conduite, un nouveau modèle de régulation de travail pour les entreprises européennes, op. cit.) ; TEUBNER va plus loin en expliquant qu’appliquer cette théorie revient pour les sociétés à rechercher avant tout l’efficacité économique et que dans cette optique, le droit des contrats ne servirait qu’à permettre cette recherche d’efficacité, quitte à permettre la création d’organisations dépourvues de responsabilité. Il rappelle en outre que cette flexibilité est devenue une fin en soi pour permettre une réponse rapide et

« adaptée aux fluctuations de leur environnement » (G. TEUBNER, « Nouvelles formes d'organisation et droit », op. cit, p. 58).

167 Ibidem.

168 A. SOBCZAK, Réseaux de sociétés et codes de conduite, un nouveau modèle de régulation de travail pour les entreprises européennes, op. cit., p. 28.

169 Sur les différentes relations qui peuvent se nouer entre sociétés donneurs d’ordres et sous-traitants, voir D. CASIN, « Sous-traitance responsable er création de valeur », communication lors de la 1ère Journée de Recherche sur le Développement Durable, ADERSE, IAE de Poitiers – Sup de Co La Rochelle, La Rochelle, 27 mars 2009, p.4, disponible sur http://www.strategie-aims.com/events/conferences/2-xixeme-conference-de-l- aims/communications/149-sous-traitance-responsable-et-creation-de-valeur/download, site visité le 19 août 2011.

170 A. SOBCZAK, Réseaux de sociétés et codes de conduite, un nouveau modèle de régulation de travail pour les entreprises européennes, op. cit., pp. 30-31.

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protectrices du droit du travail ne sont plus applicables171. Les dispositions favorables aux salariés travaillant dans des entreprises de plus de cinquante salariés peuvent également ne plus être applicables. De plus, cette organisation entraîne inévitablement une dispersion de la collectivité des travailleurs à travers la mise à disposition de certains salariés par la société donneuse d’ordre à ses sous-traitants, le transfert ou encore le détachement de salariés entre sociétés d’un même groupe. Cette dispersion n’est pas sans conséquence sur la représentation de ces salariés. Le caractère temporaire de ces mises à disposition ou la petite taille de l’entreprise peuvent en effet priver l’application des règles applicables en matière de représentation. Cette organisation n’est pas non plus sans conséquence sur la précarité des contrats de travail, notamment dans les réseaux de sous-traitance, puisque c’est bien la commande passée par la société donneuse d’ordre qui conditionne la mobilisation de la main-d’œuvre. Ce recours au contrat commercial permet ainsi à la société donneuse d’ordre d’échapper au respect de la législation applicable en matière de licenciement en cas de période d’inactivité puisque ce sont les salariés de ses sous-traitants qui sont mobilisés et embauchés selon les besoins.

77. Le principe d’autonomie des personnes morales ainsi que le recours au contrat sont ainsi deux outils qui favorisent la construction d’entreprises à structure complexe et qui, paradoxalement, empêchent toute réception par le droit de ces nouvelles formes d’organisation. Le principe de souveraineté des Etats renforce pour sa part cet éclatement, en limitant la possibilité pour les Etats d’appréhender l’entreprise dans sa dimension transnationale.

3) Un éclatement renforcé par le principe de souveraineté des Etats

78. En présence d’entreprises à structure complexe transnationales, la combinaison du principe de souveraineté des Etats aux techniques juridiques précédemment décrites est un facteur supplémentaire favorisant le développement de ce type de groupement.

Chaque société d’un même réseau possède la nationalité de l’Etat sur lequel est situé son siège social ou de celui dans lequel elle est incorporée. Chacune est donc soumise à la législation de cet Etat, laquelle détermine tant les règles de constitution et de

171 C. PERRAUDIN, N. THEVENOT, B. TINEL, J. VALENTIN, « Sous-traitance dans l’industrie et ineffectivité du droit du travail : une analyse économique », Economie et institutions, 2ème semestre, 9, 2006, pp. 35-56.