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SECTION I L’ENTREPRISE REDÉFINIE DANS SON OBJET PAR LA RSE

B. Les parties prenantes propres à l’entreprise responsable

158. La prise en compte des préoccupations sociétales liées à l’activité et aux décisions des entreprises se trouvant au cœur de la RSE, les entreprises doivent identifier les personnes susceptibles d’être affectées par leurs produits, services et décisions

398 Pour les plus connues d’entre elles, nous pouvons citer les normes ISO.

399 Norme AA 1000, « Stakeholder engagement standard », disponible sur le site d’Accountability, www.accountability.org, site visité le 9 février 2013.

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stratégiques afin de répondre à cet objectif. Le champ des personnes susceptibles d’être intéressées par leurs décisions s’en trouve inévitablement élargi puisque cette démarche révèle de nouveaux conflits d’intérêts naissant autour de l’entreprise. On comprend alors que de l’approche retenue de la RSE dépende la définition des parties prenantes. Selon que l’on adopte une approche de la RSE qui soit centrée sur la performance financière de l’entreprise ou au contraire accès sur l’évaluation des effets de l’activité sur l’extérieur, certaines personnes seront identifiées comme parties prenantes de l’entreprise et d’autres en seront exclues. Si les premiers textes fondamentaux en matière de RSE ont d’abord manqué de précision sur ces questions au début des années 2000, les modifications apportées à certains d’entre eux en 2011 ont permis de préciser la manière dont les entreprises doivent prendre en compte leurs parties prenantes pour répondre aux objectifs de la RSE et du développement durable. En précisant ces objectifs, les parties prenantes propres à l’entreprise responsable apparaissent alors clairement.

159. En proposant, en 2011, une définition plus précise de la RSE, la Commission européenne participe par exemple à faire apparaitre les parties prenantes de l’entreprise responsable. Aucune définition des « parties prenantes » n’est en revanche proposée par la Commission. Pour autant, elle précise que les entreprises doivent intégrer les préoccupations en matière sociale, environnementale, éthique, droits de l’Homme et de consommation dans leurs activités commerciales et leur stratégie de base en concertation avec leurs parties prenantes400. Cette incitation s’applique à des domaines précis, en dehors de toute préoccupation financière ou économique, ce qui traduit un élargissement du cercle des parties prenantes de l’entreprise bien au-delà des actionnaires. Toutes les personnes ayant un intérêt sur ces questions sont donc concernées, qu’elles soient des

« parties prenantes internes et externes »401. Par-delà l’élargissement de la définition des parties prenantes de l’entreprise, la Commission précise la manière dont cette prise en compte peut être menée. L’entreprise est par exemple incitée à entamer un dialogue avec les tiers intéressés et à ne pas déterminer unilatéralement la manière de concilier ces divers intérêts. En procédant ainsi, l’entreprise ne se contente pas de communiquer sur

400 Commission Européenne, Responsabilité sociale des entreprises : une nouvelle stratégie de l’UE pour la période 2011-2014, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Bruxelles, 25 oct. 2011, COM(2011) 681 final, p. 7.

401 Idem, p. 4.

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sa démarche responsable ; elle s’engage vis-à-vis des personnes intéressées. Cette démarche est aujourd’hui déclinée dans tous les principes et textes internationaux relatifs à la RSE et commence à être appliquée par les entreprises elles-mêmes.

160. De la même manière, la norme ISO 26000 relative à la responsabilité sociétale des organisations recommande que les parties prenantes soient identifiées par l’organisation elle-même et qu’elle prenne en compte leurs intérêts ainsi que leurs droits, que ces parties prenantes aient une influence sur les activités de l’entreprise ou qu’à l’inverse, cette dernière ait un impact sur elles. La prise en compte des intérêts des parties prenantes nécessite, selon cette même norme, la mise en place, par l’entreprise, d’un dialogue avec elles402. La prise en compte des intérêts des parties prenantes se retrouve également dans les Principes Directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme403 mais uniquement en ce que les activités des entreprises pourraient représenter un risque relatif au respect des droits de l’Homme. En effet, ce texte incite les entreprises à exercer leur devoir de diligence raisonnable en matière de droits de l’Homme afin « d’identifier et d’évaluer la nature des incidences négatives effectives et potentielles sur les droits de l’Homme 404». Ce texte vise donc les personnes pouvant être affectées par l’entreprise sans se préoccuper de celles qui, à l’inverse, peuvent affecter l’entreprise405. De même, les Principes directeurs de l’OCDE à l’attention des entreprises multinationales recommandent aux entreprises de « s’engager auprès des parties prenantes concernées en leur donnant de réelles possibilités de faire valoir leurs points de vue lorsqu’il s’agit de planifier et de prendre des décisions relatives à des projets ou d’autres activités susceptibles d’avoir un impact significatif sur les

402 La norme 26 000 définit les parties prenantes comme tout « individu ou groupe ayant un intérêt dans les décisions ou activités d’une organisation », ISO 26000, Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale, ISO, 2010, point 2.20 p.4. Voir également I. CADET, « La norme ISO 26000 relative à la responsabilité sociétale : une nouvelle source d’usages internationaux », Revue Internationale de Droit Economique, 2010, p. 401 et s.

403 Conseil des droits de l’hommes des Nations Unies, Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme : mise en œuvre du cadre de référence « protéger, respecter et réparer », Rapport du Représentant spécial du Secrétaire général chargé de la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, John RUGGIE, 21 mars 2011, A/HRC/17/31.

404 Idem, Principe 18, Commentaires.

405 Nous évoquons ici l’affectation directe et non le cas où indirectement, l’entreprise est affectée par une action en justice menée par exemple par une personne victime de violations commises par l’entreprise.

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populations locales 406». Afin de respecter ces recommandations les entreprises sont invitées à mettre en place des outils de transparence, de communication, d’instances de dialogue et de consultation. En suivant ces recommandations407, les entreprises sont amenées à prévoir les incidences que leurs activités peuvent avoir sur les tiers et à identifier en amont leurs responsabilités. Etre une entreprise responsable ne signifie donc pas tant combler les attentes de toutes les parties prenantes que de prévenir également les effets potentiellement négatifs de l’activité sur ces dernières. La non réalisation de cet objectif peut conduire à la mise en cause de la responsabilité juridique de l’entreprise, alors que la non prise en compte des attentes d’une partie prenante n’est pas sanctionnée, sauf à être expressément prévue par la loi. Or, le droit positif ne reconnaît de droits qu’aux personnes ayant un intérêt légitime à l’égard de l’entreprise et que l’on peut qualifier de parties prenantes « traditionnelles ». La question portant sur la détermination de cette légitimité surgit alors. Comment déterminer qu’un intérêt est plus légitime qu’un autre ? Un voisin ne peut-il pas avoir un intérêt aussi légitime qu’un salarié ou un actionnaire à connaître certaines informations détenues par l’entreprise par exemple, dès lors qu’une décision de gestion peut affecter son environnement ? N’a-t-il pas un intérêt légitime à être consulté et écouté par l’entreprise si les activités de cette dernière peuvent affecter son mode de vie voire même violer certains de ses droits ? Ces questions, que

406 OCDE, Principes Directeurs de l’OCDE à l’attention des entreprises multinationales, OCDE, mai 2011, Principe généraux II, §14.

407 En se concentrant sur les travailleurs par exemple, certaines entreprises multinationales signent des accords-cadres internationaux, fruit d’un dialogue entre représentants des travailleurs et la direction de l’entreprise. L’objet de ce type d’accord est de répondre aux préoccupations des travailleurs de toute l’entreprise à travers le monde, indépendamment de sa structure juridique et en l’absence de toute obligation légale en la matière. Sur cette question voir notamment I. DAUGAREILH, « La responsabilité sociale des entreprises transnationales et les droits fondamentaux de l’homme au travail : le contre-exemple des accords internationaux », in I.

DAUGAREILH (dir.), Mondialisation, travail et droits fondamentaux, Bruylant, L.G.D.J., 2005, pp. 349-384 ; A. BAYLOS-GRAU, « Nouveaux espaces de règlementation dans la mondialisation : Entreprises transnationales et accords-cadres internationaux », in I. DAUGAREILH (dir.) Responsabilité sociale de l'entreprise transnationale et globalisation de l'économie, éd. Bruylant, Bruxelles, 2010, p. 195- 214 ; A. SOBCZAK, « Les accords-cadres internationaux : un modèle pour la négociation collective transnationale ? », Communication lors du 2ème séminaire franco-québécois sur la responsabilité sociale organisé le 1er septembre 2005 à Sciences- Po Paris.

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soulève la RSE, ont pour effet d’identifier de nouvelles parties prenantes, que le droit commence à ne plus pouvoir ignorer.

161. L’article L. 225-102 du Code de commerce prévoit ainsi que « toute personne intéressée » peut demander au Président du Tribunal statuant en référé, d’enjoindre sous astreinte, au Conseil d’administration ou au directoire, de communiquer les informations qui ne seraient pas contenues dans le rapport annuel de gestion. Qui sont les personnes intéressées par le rapport annuel de gestion ? Traditionnellement, il s’agit des commissaires aux comptes, des actionnaires, du comité d’entreprise et des associés. Il ne fait aucun doute que ces dernières ont un intérêt à agir en référé sur le fondement de ce texte. Il s’agit donc des parties prenantes dites « traditionnelles » de l’entreprise, celles pouvant affecter sa performance financière ou à l’inverse être intéressées par celle-ci.

Mais dès lors que la loi prévoit l’insertion, dans ce rapport annuel de gestion,

« d’informations sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité ainsi que sur ses engagements sociétaux en faveur du développement durable et en faveur de la lutte contre les discriminations et de la promotion des diversités408 », la question se pose de l’élargissement du champ des personnes intéressées par ces informations. A cet égard, la lettre de cadrage409 du ministère de l’économie à propos du premier décret du 20 février 2002, pris en application de l’ancien article 225-102-1 du Code de commerce, précise que :

« L'objectif poursuivi par la loi et son décret d'application est de fournir une information synthétique et lisible à l'ensemble des parties prenantes de l'entreprise sur la démarche de développement durable dans laquelle s'inscrit cette dernière. L'information demandée intègre donc des considérations sociales, sociétales et environnementales. Au-delà, il s'agit d'inciter les sociétés françaises à se positionner dans un mouvement international qui fait de l'exigence de transparence en matière de développement durable un impératif de gouvernement d'entreprise et donc de compétitivité. Cette initiative vise à inscrire les

408 Art. L. 225-102, Code de commerce.

409 Une note de cadrage accompagnait le projet de décret soumis à consultation, mais n’a pas été rendue publique. Sur cette question, voir EE, OREE, ORSE, Bilan critique de l’application par les entreprises de l’article 116 de la loi NRE, Rapport de mission remis au gouvernement, avril 2004, disponible sur www. orse.org, site consulté le 10 janvier 2013.

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entreprises françaises dans une démarche de progrès410». Les tiers intéressés par ces informations sociales et environnementales sont donc entendus plus largement que les personnes intéressées par les informations strictement financières contenues dans le rapport annuel de gestion. On peut alors distinguer les parties prenantes

« traditionnelles » de l’entreprise, des parties prenantes « nouvelles ». Au regard de ce texte, rien ne s’oppose à ce que soit reconnue aux parties prenantes « nouvelles » la possibilité d’intenter une action en référé sur le fondement de l’article 225-102 du Code de commerce. Ainsi, un consommateur ou un voisin de l’entreprise, intéressé par les informations sociales et environnementales qui ne seraient pas transmises dans un rapport annuel de gestion, en violation du décret411, pourrait exiger du juge que l’entreprise la lui transmette. L’intérêt à agir de ces tiers pourrait leur être reconnu car l’objectif de la loi est bien de les rendre destinataires de ces informations aux côtés des parties prenantes « traditionnelles ». Sous l’impulsion de la RSE, de nouvelles parties prenantes propres à l’entreprise responsable, sont en voie d’être reconnue par la loi.

162. Une telle étape a presque été franchie avec la loi du 12 juillet 2010412 qui reconnaissait aux parties prenantes, le droit de présenter leur avis sur les démarches de RSE participant à des dialogues avec les entreprises413, et ce au côté des institutions représentatives du personnel. Cette disposition a finalement été supprimée par la loi du 22 octobre 2010414, la notion de partie prenante ayant été jugée « trop large et floue ». La Commission des finances du Sénat a en effet considéré que les Institutions représentatives du personnel et les parties prenantes pourraient introduire dans le rapport annuel des appréciations non vérifiées ou susceptibles de porter à l'entreprise un

410 Eléments de cadrage concernant le projet de décret d’application de l’article 116 de la loi sur les nouvelles régulations économiques, idem, Annexe 2 f.

411 Décret n° 2002-221 du 20 février 2002 pris pour l'application de l'article L. 225-102- 1 du code de commerce et modifiant le décret n° 67-236 du 23 mars 1967 sur les sociétés commerciales.

412 Loi portant engagement national pour l'environnement, 12 juillet 2010, n° 2010-788, Art. 225.

413 «Les institutions représentatives du personnel et les parties prenantes participant à des dialogues avec les entreprises peuvent présenter leur avis sur les démarches de responsabilité sociale, environnementale et sociétale des entreprises en complément des indicateurs présentés », Idem.

414 Loi de régulation bancaire et financière, 22 octobre 2010, n° 2010-1249, Art. 32.

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préjudice de réputation disproportionné, [...] à l'égard de leurs concurrents étrangers415 ».

Cette remise en cause de la loi du 12 juillet 2010 est en contradiction avec les objectifs de la loi NRE tels que décrits dans la lettre de cadrage de 2002. Elle marque également un décalage avec la démarche participative des parties prenantes à laquelle sont incitées les entreprises par les principes de RSE, et auxquelles se soumettent d’ailleurs les entreprises elles-mêmes. Cette loi démontre malgré tout une tendance à l’ouverture du droit vers une prise en compte étendue de nouvelles parties prenantes de l’entreprise dans les domaines couverts par la RSE, ce qui participe à reconnaître les « nouveaux » intérêts qui entourent l’entreprise. En élargissant le cercle des parties prenantes traditionnelles de l’entreprise, la RSE pourrait bien avoir vocation à impulser des mécanismes (alternatifs) de prévention des conflits qui pourraient naître au sein et autour de l’entreprise, mécanismes que le droit commence aussi à prendre en compte. Plus largement, la reconnaissance de ces « nouvelles » parties prenantes par les entreprises elles-mêmes, conduit à remettre en cause la théorie contractuelle de l’entreprise.

§ 2 . La théorie contractuelle de l’entreprise remise en cause par la RSE

163. L’élargissement du cercle des parties prenantes de l’entreprise fait écho à une conception institutionnelle de l’entreprise suivant laquelle l’intérêt social est confondu avec l’intérêt de l’entreprise, de sorte que « la finalité du groupement social serait l’intérêt de tous ceux qui contribuent au fonctionnement de l’entreprise que la société organise 416». Elle conduit à déterminer la finalité de l’entreprise pour servir de guide aux dirigeants417, ce qui fait dire à un auteur que l’intérêt social est bien « l’expression d’un jugement de valeur418 ». Or, en incitant l’entreprise à s’ouvrir à son environnement non commercial, la RSE exprime également un jugement de valeur qui interroge la finalité de l’entreprise et par voie de conséquence la prise en compte des divers intérêts affectés par son activité, au-delà de ceux des seuls associés. Ce jugement de valeur,

415 Sénat, Compte rendu intégral de la séance du 1er octobre 2010, J.O., 2010, N° 89 S.

(C.R.), 7280.

416 S. ROUSSEAU, I. TCHOUTOURIAN, « L’" intérêt social" en droit des sociétés : regards canadiens », Revue des sociétés, 2009, p. 735.

417 Ce qui fait dire à A. BENNINI qu’elle a une logique hybride « à mi chemin entre les logiques procédurales et substantielles », A. BENNINI, Le voile de l'intérêt social, Thèse, Université de Cergy-Pontoise, 2010, p. 523 § 788.

418 Idem, p. 61.

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porté sur la conduite des affaires, prend deux directions : en s’engageant dans des démarches de RSE les entreprises expriment un jugement de valeur sur la manière dont elles entendent conduire leurs activités. En les incitant par des normes internationales, européennes ou même de droit interne, les Etats expriment à leur tour un jugement de valeur sur la manière dont ils entendent que les entreprises se comportent. La RSE participe en ce sens à élargir l’intérêt social de l’entreprise (A) et apparaît comme l’expression d’une approche institutionnelle renouvelée de l’entreprise (B).