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54. La société est devenue le support de structures entrepreneuriales complexes que le droit ne saisit que partiellement. Le groupe de sociétés en est la figure représentative.

Organisés sous forme pyramidale, les groupes de sociétés se constituent en dehors de tout cadre juridique. Le droit des sociétés, initialement conçu pour des sociétés

« simples », se contente en effet d’adapter ses règles à ces formes complexes d’entreprise. Cette démarche entraîne une inadéquation du droit aux faits, laquelle est aujourd’hui d’autant plus criante que les structures et l’organisation des relations entre sociétés évoluent rapidement. L’organisation verticale des groupes de sociétés laisse en effet place à de nouvelles formes d’organisation horizontale125 qui donnent naissance à des réseaux d’entreprises126. Leur fonctionnement réticulaire remet en cause les fondements juridiques sur lesquels reposaient les quelques règles qui avaient su s’adapter aux structures pyramidales. Le pouvoir s’y exprime différemment ; le contrat y tient une place centrale ; le contrôle n’est plus lié à la détention du capital. Groupe d’un côté, réseau de l’autre, une telle dichotomie ne saurait néanmoins refléter la réalité de l’entreprise qui se développe à l’international. Ces deux modèles d’organisation se mêlent en effet pour former à leur tour des structures « hybrides127 ». Le groupe interagit avec des réseaux de sociétés. Il peut ainsi être organisé tant de manière verticale

125 Du point de vue des sciences de gestion, une organisation horizontale « vise à minimiser le nombre d’échelons hiérarchiques en responsabilisant d’avantage les échelons inférieurs pour rendre les circuits de décision plus courts. (…) A chaque niveau, que ce soit par fonction, par division, par produit, par pays, on multiplie alors sans réelle valeur ajoutée les niveaux de contrôle et les tâches de reporting. Cette refonte d’organisation s’accompagne d’un accroissement des responsabilités du middle management qui se voit confier des tâches habituellement dévolues à des niveaux directement supérieurs ou inférieurs », D. ROUX, Les 100 mots de la gestion, P.U.F., coll. Que sais-je ?, 3ème éd., 2007, p. 23.

126 Le réseau est conçu « comme un ensemble de cellules qui dialogues entre elles dans la perspective commune de satisfaire une clientèle de plus en plus exigeante. Ainsi, la conception de l’entreprise réseau va reposer sur des éléments comme l’autonomie et la responsabilité, afin qu’elles puissent réagir aux évènements plutôt qu’à des règles préétablies. Ces entreprises sont très proches du marché, ce qui leur permet d’une part d’être gouvernées dans un esprit « entrepreneurial », d’autre part de pouvoir s’adapter rapidement à toutes les évolutions de leur environnement. Il s’agit d’une situation dans laquelle plusieurs entreprises entretiennent des relations à long terme, c’est en quelque sort un niveau intermédiaire entre la firme et le marché. (…) L’entreprise devient ainsi un centre qui anime un réseau de firmes sous-traitantes et, de ce fait, les frontières de l’entreprise se diluent ». Idem, p. 24.

127 G. TEUBNER, « Nouvelles formes d'organisation et droit », Revue française de gestion, nov./déc. 1993, pp. 50-68.

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qu’horizontale. Ces nouvelles formes d’organisation font dire à certains auteurs que l’entreprise est éclatée, morcelée. Parler « d’éclatement » induit la préexistence d’une unité, d’un ensemble organisé. Or, cette unité n’est autre que la société, personne morale aux frontières bien définies. Cet éclatement induit donc une extension de ces frontières, laquelle peut par exemple découler d’une externalisation de ses activités vers d’autres sociétés. De ces nouvelles relations commerciales émergent de nouvelles formes d’organisation, formées de sociétés juridiquement autonomes. Or, en cherchant à saisir ces organisations complexes à travers leurs structures juridiques, le droit se trouve incapable de proposer un cadre adapté à leur réalité organisationnelle. Face à ces transformations, le droit peine à s’adapter, si bien que l’entreprise transnationale évolue dans un environnement juridique flou.

55. En s’immisçant dans le droit, les normes prises en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) invite à dépasser cet apparent morcellement en étudiant les relations qui se créent au sein de l’entreprise, entre les diverses structures juridiques que sont les sociétés qui la composent. Ce faisant, bien loin de démontrer un tel éclatement, ces relations peuvent au contraire révéler l’existence d’une organisation reposant sur des bases juridiques solides. Rejetant tout cadre juridique qui les enfermerait dans un modèle ou une catégorie juridique dépourvue de flexibilité, ces entreprises délimitent en effet elles-mêmes leur pouvoir, gèrent seules leurs relations internes mais également externes, en dehors de tout cadre juridique global. Le contrat devient un outil indispensable, gage de flexibilité, permettant d’intensifier des relations commerciales. Il est un moyen d’intégrer des partenaires commerciaux à une entreprise transnationale et d’en coordonner les relations internes. L’essor des engagements en faveur d’une responsabilité sociétale des entreprises consolide cette intégration. En faisant le choix d’exercer leurs activités de manière responsable, ce ne sont plus seulement les relations commerciales qui sont coordonnées par le contrat. Laissées à la liberté contractuelle, leur rapport à l’environnement, leurs relations avec les travailleurs de toute l’entreprise, mais également leurs rapports aux tiers deviennent des préoccupations communes aux sociétés intégrées. Sous l’impulsion de la responsabilité sociétale, sont mis en place des politiques responsables, des stratégies, des outils de gestion, des normes, des systèmes de management. C’est ainsi l’organisation de la structure complexe de l’entreprise qui prend forme. Les mesures prises au nom de la RSE permettent la création d’un modèle d’organisation flexible, capable de prendre en

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compte l’entreprise transnationale dans sa complexité. En se détachant d’une approche fondée sur la structure juridique, la RSE s’immisce de ce fait dans le droit de l’entreprise, invitant à appréhender l’entreprise transnationale dans ses fonctions (Titre 1) ainsi que dans son organisation (Titre 2), laissant apparaître une organisation certes, complexe, mais non moins saisissable.

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56. La structure juridique de base du droit des affaires est la société. Celle-ci peut revêtir plusieurs formes et être organisée de diverses manières, conformément aux dispositions législatives et statutaires. Sa personnalité juridique permet au droit de la saisir, c'est-à-dire de lui imposer des droits et des obligations, desquels peuvent découler une responsabilité. A cette structure traditionnelle de la société correspond une identité de frontières et de pouvoir, si bien que la société et l’entreprise ne font qu’un. Le pouvoir, détenu par le dirigeant, qui est également l’employeur, ne s’exerce qu’en direction de salariés localisés sur un site de production donné, en vue de faire fructifier le capital de ladite société. Si ce modèle d’organisation reflète encore la réalité de nombreuses petites et moyennes entreprises, le développement d’entreprises plus vastes a vu le jour, donnant naissance à de véritables organisations au cœur desquelles se trouve la société. L’entreprise devient alors un vaste ensemble de sociétés, liées entre elles par le capital ou le contrat, ce qui participe à une transformation de l’entreprise traditionnelle. Ces organisations se caractérisent aujourd’hui par un éparpillement de leur structure juridique et donc du pouvoir, rendu d’autant plus difficile à saisir que cet éclatement est également géographique.

57. L’organisation économique et managériale de ces entreprises transnationales apparaît pourtant sous une forme coordonnée, laissant apparaître un ensemble unifié. On évoque ainsi indifféremment l’entreprise X ou la marque Y. Leur réalité juridique est néanmoins toute autre puisqu’elles sont composées de multiples sociétés. Cette dualité transparait dans les sciences sociales puisque les sciences économiques ou de gestion les appréhende comme un ensemble unique, alors que le droit les aborde dans leur dimension multiple, chaque société de l’ensemble étant indépendante les unes des autres.

En application stricte des principes juridiques du droit des sociétés, l’entreprise