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PARTIE I Cadre : Cadre conceptuel et théorique

SECTION 2: Concertation et modalités de l'action collective et modalités de l'action collective

2.3. Le contenu normatif de la concertation

Pour ce dernier, la légitimation est donc un double "appoint" au mécanisme du pouvoir fondé sur la dépendance.

Dans la suite de l’exposé, nous nous appuierons sur les apports de Laufer [1996]. Nous définirons la légitimation de la façon suivante. La légitimation d’une décision consiste en la construction d’un argumentaire permettant de justifier des choix et s’appuyant sur une prise en compte des systèmes de valeur des acteurs affectés par ces choix.

La légitimation peut s’appuyer directement sur les normes sociales des acteurs concernés ou indirectement en s’appuyant sur des systèmes de normes supérieurs.

Nous pensons qu'il y a le plus souvent une dimension normative implicitement contenue dans la concertation. Nous appelons contenu normatif de la concertation le système de normes auxquelles il est fait référence pour justifier de faire recours à une démarche de concertation. Ce système normatif définit en particulier ce qui est bon et ce qui ne l'est pas, par référence à ce qui est conforme à l'intérêt général et à ce qui ne l'est pas. Nous pouvons mettre le contenu normatif de la concertation en question.

Notre propos dans cette section consiste précisément à explorer ce système normatif de façon à prendre position dans le cadre de notre thèse. Cela nous conduira à mettre en discussion la légitimité des démarches de concertation ainsi que des normes qui structurent et justifient implicitement toute démarche de concertation. Ce faisant, nous serons ainsi conduits à justifier l’utilité de notre travail.

2.3.1. Les arguments pour justifier les démarches de concertation

Amorim [2000] a tenté de faire une synthèse des raisons majeures qui poussent les pouvoirs publics à souhaiter faire jouer à la concertation un rôle plus important dans les processus de décision publique. L'auteur est conduit à isoler quatre ensembles de raisons:

a) La crise de l'ancien modèle de décision publique

Dans ce modèle, l'Etat est un acteur central et unique. A lui seul l'Etat joue (relayé par ses différents services et les institutions de représentation locales ou régionales) plusieurs rôles: il assure celui d'expert en prenant la responsabilité de la réalisation des études techniques de faisabilité des projets; il s'occupe du montage financier lié aux projets; il est maître d'œuvre et maître d'ouvrage dans le cadre de la réalisation des projets et enfin et surtout, l'Etat affiche qu'il assume le rôle de garant et porteur de l'intérêt général.

Depuis plusieurs décennies, l'on assiste à des manifestations de la remise en cause de ce modèle.

En particulier, les conflits et les blocages de groupes d'intérêts citoyens ont conduit à penser que l'Etat n'assurait plus correctement le rôle de garant et porteur de l'intérêt général. L'évolution des textes de lois (cf. précédemment) montre d'une part que l'Etat dans son rôle de législateur tente de (ré)introduire les parties prenantes (dont les citoyens) dans les processus de décision publique et d'autre part qu'il admet implicitement qu'il ne peut plus à lui seul garantir des décisions publiques respectueuses d'un intérêt général.

b) Un accroissement de la complexité systémique et des incertitudes liées aux décisions publiques

La notion de développement durable s'est profondément ancrée dans un grand nombre de problématiques liées à la décision publique. La notion de développement durable a considérablement accru la complexité des décisions devant ainsi être désormais inscrites dans la renonciation à un arbitrage du type ‘développement économique ou respect de l'environnement et des conditions de vie des générations futures’. Toute réflexion prenant en compte le développement durable doit ainsi entre autres:

- Conduire à des réflexions sur le long terme notamment sur le recensement des implications d'une décision sur le sort des générations futures;

- Conduire à des réflexions sur les interactions entre acteurs, y compris entre acteurs de différents niveaux (globaux et locaux).

c) La remise en cause des choix des politiques et des scientifiques

« L'appel aux citoyens » que manifeste l'évolution législative sur la question de la concertation dans les décisions publiques traduit une faillite du système normatif politique (la faillite de l'Etat dans son rôle de détenteur représentatif de l'intérêt général, cf. plus haut) mais également une faillite des scientifiques à proposer un système normatif qui à lui seul suffisait auparavant à légitimer les décisions. Autrement dit, c'est le système de légitimité rationnel légal (tel que décrit par R. Laufer, cf. plus haut) qui est remis en cause aujourd'hui. Le système normatif devant servir à justifier les décisions publiques doit désormais être construit par les acteurs parties prenantes des décisions.

d) Emergence de groupes d'intérêts multiples

Les acteurs affectés par les décisions (ou les affectant), c'est-à-dire les parties prenantes (cf.

chapitre 2, section 2) ont depuis plusieurs décennies (depuis les groupes de pression américains consuméristes nés dans les années soixante?) pris la forme de petits groupes d'intérêts représentatifs. Ces groupes exercent sur le décideur public une pression avec agitation de menaces qui peuvent prendre des formes parfois violentes: blocages de voies d'accès (par exemple, sur le sujet du traitement en France des déchets nucléaires de pays étrangers), destruction de sites (par exemple, sur la question de la culture en France de végétaux génétiquement modifiés), etc.

2.3.2. Une lecture critique de cet argumentaire

Ces quatre raisons sont une synthèse de différents éléments qui justifieraient le recours à la concertation. Elles fondent le bien-fondé de la démarche de concertation et constituent en quelque sorte le contenu normatif de la concertation : la réponse à la question « pourquoi la concertation est-elle souhaitable ? » Elles justifient finalement la pertinence et l'intérêt d'une partie de notre travail. Elles nous inspirent cependant trois remarques critiques.

a) Une imputation des échecs passés incertaine

La concertation est présentée dans de nombreux travaux comme modalité de prise de décision alternative. Il nous semble que cette justification de la concertation ne tient que si il a été établi que l'échec des décisions passées (leur remise en cause violente par les acteurs concernés mais qui n’ont pas été impliqués dans le processus) est réellement imputable au type du processus qui a conduit à ces décisions. Nous pouvons mettre en question notre capacité à déterminer avec certitude si l'échec d'un processus de décision est imputable à la forme du processus (tous les acteurs parties prenantes ont-ils été intégrés?) ou si il est imputable à d'autres éléments: les circonstances économiques, politiques, sociales, les difficultés techniques intrinsèquement liées à l'objet discuté, etc….

b) L'absence d'une définition précise des modalités de mise en œuvre des démarches de concertation

Le recours à la concertation est justifié tant qu'il est possible de montrer qu'elle constitue une alternative susceptible de conduire avec plus de certitude à des décisions qui soient conformes à l'intérêt général. Cette assertion implique au moins de savoir ce qu'est la concertation ou de s'être entendu sur ce que devrait être une démarche de concertation. La loi, nous l'avons vu plus haut ne le dit pas avec précision. C'est donc dans la pratique que l'état tente de déterminer ce qu'il peut être entendu par concertation. Cela conduit à des expériences objectivement navrantes, comme le cas du troisième aéroport parisien (cf. plus loin).

c) Le discours de la légitimité et la légitimité du discours

Que nous empêche-t-il de voir la concertation comme une possible manipulation d'un décideur?

Comme la concertation n'est pas une démarche aux contours bien définis dans la loi, elle est une pratique fondée sur une interprétation de différents textes de lois qui instituent de manière floue structures et procédures de ce que l'on pense être de la concertation. Il n'est que quelques pas à faire pour imaginer qu'un décideur puisse fonder un discours sur le recours à la participation des citoyens pour donner l'illusion qu'il prend en compte l'avis de tous. Cela conduit, comme dans le

cas du troisième aéroport parisien à une confusion entre concertation d'une part et consultation ou information d'autre part.

Nous verrons en conclusion les raisons qui malgré cette analyse critique nous poussent à considérer comme pertinente une étude sur les façons de faire plus de concertation.

2.3.3. Les enseignements du cas du troisième aéroport parisien

A l'été 2001, le gouvernement Jospin annonce qu'au terme d'un débat public important, le site de Chaulnes a été choisi pour accueillir le troisième aéroport parisien. Le 26 Juillet 2002, le nouveau gouvernement en place annonce que cette décision est annulée et que les commissions de l'assemblée nationale débattront de l'utilité d'un troisième aéroport.

La question du troisième aéroport parisien fut un sujet de polémique et un enjeu politique national fort si bien qu'il paraît difficile aujourd'hui d'en avoir une vision sensée et objective. Ce qui nous intéresse, c'est de noter qu'au terme d'un processus qui était affiché comme relevant d’une démarche participative originale, une décision a été prise, contestée puis annulée.

Cela doit nous amener à nous interroger pêle-mêle sur la réalité de la participation du citoyen à ce processus, la qualité de cette participation, la réalité de la concertation du point de vue des décideurs.

Les pouvoirs publics lancent au début de l’année 2001 une démarche qui devait être fondée sur la

« démocratie de proximité ». Un débat public sur la question du choix du site du troisième aéroport parisien fut donc organisé avec l’originalité de se situer bien plus en amont du processus devant conduire au choix final que pour le cas de la plupart des processus de choix d’investissement public. Le débat est organisé par la commission DUCSAI (Démarche d’Utilité Concertée pour un Site Aéroportuaire International). Il avait pour objectif de faire émerger différentes alternatives possibles. L’état a annoncé qu’aucune alternative n’avait été préalablement évaluée de sorte que la démarche s’apparentait réellement à de la concertation. Cette phase du processus a été analysée a posteriori par beaucoup. Fourniau [2002] note en fait qu’elle a fait apparaître un grand nombre d’ambiguïtés.

En premier lieu, les engagements de l’état étaient peu clairs. L’état s’est engagé en 1997 à plafonner le trafic sur les aéroports existants de Roissy et d’Orly (Discours du Ministre des Transports J.-C. Gayssot de 1997). Un troisième aéroport parisien devait permettre de désengorger ces deux sites aéroportuaires et ainsi de respecter les limites de trafic fixées par l’état.

Néanmoins, les experts ont indiqué à l’époque que ces limites seraient atteintes très largement

avant que le troisième aéroport ne soit en fonction. Les engagements de l’état ne pouvaient donc raisonnablement pas être tenus.

En deuxième lieu, Fourniau note que la maîtrise d’ouvrage assurée par la direction de l’aviation civile n’a finalement pas tenu compte des questions soulevées par le débat et s’en est tenue au seul critère de ses prévisions de trafic.

En troisième lieu, la direction de l’aviation civile avait préalablement au débat préparé trois propositions de sites alors que, comme précisé plus haut, l’état s’était engagé à ne préjuger d’aucun projet avant le débat de la DUCSAI. Par ailleurs, les collectivités et les acteurs économiques locaux ont proposé des candidatures pour une question qui évidement était d’importance nationale. Ceci conduit donc à s’interroger sur la légitimité des dossiers de candidature.

Enfin, en dernier lieu, l’auteur note que le rôle de la commission DUCSAI dans le débat était lui- même ambigu. Pour preuve, le président de cette commission P. Zémor assurait également la fonction de président de la commission nationale du débat public, institution en cours de réforme à l’époque.

Barraqué [2002] indique lui que bien que d’apparence très souple et très en amont du processus, la DUCSAI avait une durée limitée à 6 mois. La faiblesse des données disponibles pour mener un débat structuré et argumenté imposait théoriquement que des études préalables soient faites, ce qui n’a pas été le cas. L’auteur note également, que l’hypothèse de départ de l’ensemble du débat à savoir l’utilité même d’un troisième aéroport parisien, n’a jamais été remise en cause (par faute de temps ?). Après l’attentat du 11 septembre, les trafics de voyageurs ont considérablement chuté et ont remis en cause de fait l’utilité du troisième aéroport.

Lascoumes [2002] défend ainsi l’idée que la DUCSAI n’a pas été un instrument de concertation visant à la prise en compte des points de vue de tous. Elle fut entendue comme un instrument de légitimation de choix qui appartiennent aux autorités publiques.

Notons qu’un autre temps important avait précédé ce débat : un ensemble de réflexions beaucoup moins médiatisées d'un groupe d'experts dirigé par la DGAC (Direction générale de l'aviation civile) au début de l'année 2001. Godet [2002] décrit ce qu'a été selon lui (il a participé à quelques-unes des étapes importantes du débat), le contenu des réflexions de ce groupe d'experts:

les scénarii d'évolution de la demande de transport aérien, les différentes stratégies possibles, les scénarii d'offre, etc… Les résultats de ce travail n'ont pas été réutilisés dans la suite du débat public si bien que l'auteur (qui participa au groupe d'experts) note que l'essentiel du débat public a été mené en « toute méconnaissance de cause ». Le débat public fut l'occasion de faire apparaître

trop de questions et l'essentiel du débat fut finalement si confus sur le fond que ce qui en émergea fut une décision prise puis annulée un an après.

Par ailleurs, M. Godet note que le choix du site de Chaulnes fut probablement le choix de l'alternative qui mécontentait le moins d'acteurs possibles. A ce titre, il ne fut pourtant pas le meilleur possible puisque remis en cause très peu de temps après.

Conclusion :

Ce cas conduit à émettre d’importantes réserves sur la nature de la concertation telle que les autorités publiques la considèrent réellement. En particulier, cet exemple montre un déficit d’expertise évident en matière de concertation. Pour Lascoumes [2002], cela tient en partie d’une culture de la participation qui en France est inexistante. Nous avançons, nous, l’argument que le déficit d’expertise en matière de concertation est lié à un déficit de l’instrumentation qui permet de supporter une démarche de concertation pour, par exemple, faire un recueil réel des points de vue de tous. Sur la base de cet exemple, dans le contexte français, les arguments pour justifier une démarche de concertation sont donc peu défendables pour les raisons que nous avons évoquées plus haut.

Nous n’avons pas trouvé suffisamment d’arguments pour faire l’hypothèse que la concertation est fondamentalement « bonne ». Néanmoins, nous avons mis en évidence un déficit d’expertise en matière de participation et de concertation. En remarquant que ce déficit est lié à un déficit concomitant d’instrumentation des pratiques de ce type, nous justifions malgré tout l’intérêt de notre recherche.

Enfin, le contexte français (le tâtonnement du législateur en matière de démarche participative, l’exemple du troisième aéroport parisien, etc..) est tel que les démarches de concertation n’ont jamais été réellement pratiquées avec succès (dans les processus de décision publique). Il importe donc que nous définissions dans une optique constructiviste et non positiviste ce que nous entendons par concertation. L’objet de la prochaine section est précisément de construire une grille de lecture des démarches de concertation sur la base d’hypothèses constructivistes de travail.

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