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La légitimation des décisions : un enjeu des démarches de concertation

PARTIE I Cadre : Cadre conceptuel et théorique

SECTION 2: Concertation et modalités de l'action collective et modalités de l'action collective

2.2. La légitimation des décisions : un enjeu des démarches de concertation

Nous avons montré en introduction qu’un des enjeux importants de la concertation était la légitimation des décisions. Il s’agit d’un point de différence entre les situations que décrivent les concepts de concertation, négociation, coordination et coopération. Si la question de la légitimité n’est absente dans aucune de ces situations, elle est néanmoins plus présente dans les finalités de la concertation que dans celles de la négociation, de la coordination ou de la coopération.

Comprendre la concertation, c'est donc comprendre ce que désigne la légitimation des décisions.

Ainsi, dans le cadre de notre problématique, ce n'est pas tant le concept de légitimité que celui de légitimation, c'est-à-dire le processus par lequel l'on acquière de la légitimité, qui nous intéresse.

Cependant, nous constatons (cf. plus loin) que les travaux qui traitent de légitimation permettent plus de comprendre le contenu de la légitimité que le processus par lequel la légitimité s’acquiert.

La légitimité des décisions en revanche s'inscrit en tant qu'objet de recherche dans un grand nombre de cadres disciplinaires différents. Cela provient du fait que la légitimité peut être attachée tour à tour à l'action individuelle, à l'action sociale et à l'action collective au sein de l'organisation. Il s'agit donc d'une question qui agite les communautés des sociologues, des psychanalystes, des gestionnaires, etc. Notre objectif consiste à emprunter à différentes disciplines une vision de ce que décrit le concept de légitimité. Ces emprunts nous amènent à considérer la légitimité tour à tour comme justification d’un pouvoir, du point de vue des sciences politiques, modalité d’exercice d’un pouvoir du point de vue de la sociologie et système normatif pour justifier l’action du point de vue des sciences de gestion.

2.2.1. La légitimité : un point de vue politique

Les travaux traitant des questions de pouvoir ont très largement contribué aux réflexions sur la légitimité. Dans un ouvrage récent, nous trouvons la définition suivante du concept de légitimation (confondu ici avec celui de légitimité) : « (…) connaissance et reconnaissance, selon notre (mon) pouvoir, notre (mon) désir, notre (ma) volonté, de la loi qui nous (me) fonde. » (cf.

Moreau de Bellaing [1997]). Il découle de cette définition que la légitimité correspond à l'état dans lequel des éléments exogènes viennent guider et autoriser les comportements, éléments exogènes dont on reconnaît le bien-fondé. Les travaux sur la légitimation ne sont ainsi pas spécifiquement

pouvoir dans l'action ou les comportements, la décision n'étant pas autre chose qu'une action ou qu'un comportement.

Certains auteurs identifient les théories anciennes et modernes de la légitimation (de la légitimité), (cf. Moreau de Bellaing [1997] par exemple). Les théories anciennes de la légitimation s'appuient sur la prééminence de Dieu comme loi qui fonde et justifie l'action. Sous l'ancien régime en France, la légitimation fondée sur Dieu est également une légitimation politique puisque l'on considère le roi comme légitime car dépositaire d'une partie du pouvoir divin. Nous pouvons inclure également dans la légitimation ancienne des types de légitimation qui ne s'appuient pas sur Dieu mais qui conduisent à des justifications doctrinales aux caractéristiques proches de l'action, du comportement et du pouvoir : il s'agit ainsi par exemple des théories de la légitimation qui ont fondé en leur temps les pouvoirs nazis et bolcheviques.

Les théories modernes de la légitimation (à partir environ du 18ème siècle) ont presque totalement éliminé leur rapport avec Dieu. Il faut certes nuancer ce propos en précisant que pour les penseurs du droit naturel du 18ème siècle, les êtres humains sont des créatures divines et à ce titre, ils ont des droits irrévocables qu'ils tirent de Dieu. Un des penseurs les plus intéressants pour comprendre la rupture entre les théories anciennes et modernes de la légitimation, est ainsi Machiavel. Celui-ci est en effet l’un des premiers à tenter (dans son ouvrage le Prince) de désacraliser le pouvoir politique et rend alors possible une justification du pouvoir politique à partir des membres de la société civile.

Pour d’autres auteurs, la légitimation est plus distincte de la légitimité. Elle est une stratégie et une modalité à part entière d’exercice du pouvoir (Bourgeois et Nizet [1995]). Il existe selon cette perspective un continuum de modalités d’exercice du pouvoir dont les deux extrêmes sont la pression d’une part et la légitimation d’autre part.

La pression a deux composantes principales: l'agitation d'une menace et la capacité de contraindre quelqu'un à faire des choses contre sa volonté. Les auteurs écrivent ainsi: « Nous parlerons de pression lorsqu'un acteur A utilise une menace pour faire des choses à un acteur B contre la volonté de ce dernier. (…) En bref, la stratégie de pression a comme fondement la dépendance de B (celui qui est la cible du pouvoir) par rapport à A (celui qui exerce le pouvoir); quant au mécanisme de la pression, il consiste en l'agitation d'une menace. » (p.11).

Cette relation de dépendance peut être de deux natures: soit A maîtrise des ressources dont l'acteur B a besoin (1) soit A maîtrise des obstacles que B doit éviter. (1) correspond typiquement au type de relation sociale décrite et analysée par les auteurs de l’analyse stratégique (cf. Crozier et

Friedberg [1977]) ou par les auteurs en théorie des organisations de la théorie environnementale des firmes (cf. Pfeffer et Salancik [1978]).

La légitimation est une stratégie alternative d'exercice du pouvoir décrite par les auteurs comme suit: « Les stratégies de légitimation sont d'une toute autre nature. Il ne s'agit plus, pour A, de faire faire à B des choses contre sa volonté, il s'agit plutôt de changer cette volonté, de faire en sorte que B acquiesce ou même adhère aux demandes, aux exigences de A. ». La légitimité, fondement de cette stratégie est une conformité perçue comme positive par rapport à des normes sociales acceptées. La stratégie de légitimation apparaît donc comme une stratégie visant à faire apparaître qu'un comportement, une action, une décision est bien en conformité avec ces normes sociales.

De plus, ces normes concernent aussi bien le contenu d'une décision, pour le cas de la légitimation d'une décision, que les procédures de décision, (y compris les normes selon lesquelles le décideur est choisi et investi de pouvoirs ou de responsabilités).

Ce point nous permet de distinguer la légitimité procédurale de la légitimité substantielle. La légitimité d'une décision peut autant provenir du contenu de la décision - en particulier lorsque la décision est conforme aux points de vue des acteurs concernés - que de la façon dont la décision est prise - le processus et les procédures qui structurent le processus. La légitimité substantielle désigne le type de légitimité d'une décision fondée sur l’idée de conformité du contenu de la décision (la substance) par rapport aux systèmes normatifs des acteurs concernés. La légitimité procédurale désigne le type de légitimité d'une décision dont la structure du processus est conforme aux systèmes normatifs des acteurs concernés.

En outre, il est possible de distinguer la légitimation de premier degré (directe) et celle de second degré (indirecte). La première se réfère à la stratégie visant à faire accepter des normes que A tente de faire valoir sur B et qui peuvent être opposées à celles de B. La seconde se réfère à la stratégie visant pour A à se référer à des normes supérieures à celles de A et de B et qui sont elles partagées. Par exemple, pour légitimer une décision, un décideur public peut tenter de convaincre les parties prenantes que la décision est conforme à leurs intérêts (légitimation de premier degré).

Il peut également se référer à des normes supérieures telles que la démocratie, l'égalité, le progrès pour faire accepter la décision en montrant qu'elle est en conformité avec ce système de normes et qu’en conséquence, il serait légitime qu’elle ne souffre discussion (légitimation de second degré). En quelque sorte, les stratégies de légitimation de premier et de second degré correspondent à des stratégies directes ou indirectes visant l’acceptabilité des décisions.

Finalement, comme précisé plus haut, nous pouvons construire un continuum de modalités

A un premier extrême, nous trouvons les stratégies de légitimation du premier degré, qui correspondent à l’idée d’un loyalisme structurant les relations entre dominants et dominés (cf.

Hirschman [1970]) puis à un autre extrême l'usage de la force et les stratégies de pression non légitimées. Les stratégies de pression légitimées correspondent par exemple à des stratégies visant à convaincre que la stratégie de pression est conforme à un système de normes sociales perçues positivement16.

2.2.2 : La légitimité : un point de vue sociologique

Sur la question de la légitimité, les analyses du sociologue M. Weber sont évidemment centrales.

La légitimité qualifie une domination, celle-ci étant définie par le sociologue comme étant « la chance, pour des ordres spécifiques (ou pour tous les autres), de trouver obéissance de la part d'un groupe déterminé d'individus » (cf. Weber [1922]). Cette « docilité » à l'obéissance trouve chez Weber plusieurs motifs mais parmi ces motifs, la légitimité est celui qui constitue sans contexte le plus décisif. Il y a pour Weber trois types de domination légitime:

− La domination à caractère rationnel (1)

− La domination à caractère traditionnel (2)

− La domination à caractère charismatique (3)

(1) Weber indique qu'il s'agit de la croyance en la légalité des règlements arrêtés et du droit de donner des directives qu'ont ceux qui sont appelés à exercer la domination par ces moyens. Cette domination légitime s'appuie sur la fixation par la loi impersonnelle générale et écrite de l'activité de chacun, des compétences de chacun (le domaine de devoirs, les pouvoirs de commandement

16 Notons que ce cadre d’analyse permet selon ses auteurs d’intégrer d’autres analyses : celles de French et Raven (French et Raven [1968]) en particulier. Ces derniers ont identifié cinq types de pouvoir: le pouvoir de récompense, le pouvoir de coercition, le pouvoir légitime, le pouvoir de référence et le pouvoir de compétence. L'analyse de Bourdieu n'explique le pouvoir qu'à partir de la légitimité et très peu à partir de la stratégie de pression.

- +

Loyalisme Usage de la force

Stratégie de légitimation du premier degré

Stratégie de légitimation du second degré

Stratégie de pression légitimée

Stratégie de pression non légitimée

Figure 5: Le continuum de stratégies d'exercice du pouvoir selon Nizet et Bourgeois [1995]

qui vont avec, la délimitation précise des moyens de coercition), le principe de hiérarchie administrative, les règles (techniques mais également les normes de comportement). C'est en particulier dans « l'organisation bureaucratique pure » que l'on trouve cette domination légitime sous sa forme pure.

(2) La domination est qualifiée de traditionnelle par Weber « lorsque sa justification s'appuie -et qu'elle est ainsi admise-, sur le caractère sacré de dispositions transmises par le temps ("existant depuis toujours") et des pouvoirs du chef ». Ce type de domination a donc le temps pour fondement. Sont en effet légitimées les dominations qui au fil du temps se sont transformées tacitement en normes sociales collectivement acceptées et non remises en cause.

(3) Le charisme est le fondement du troisième type de domination légitime. Weber appelle charisme « la qualité extraordinaire ( à l'origine déterminée de façon magique tant chez les prophètes et les sages, thérapeutes et juristes, que chez les chefs des peuples chasseurs et les héros guerriers) d'un personnage, qui est, pour ainsi dire doté de forces ou de caractères surnaturels ou surhumains ou tout au moins en dehors de la vie quotidienne, inaccessibles au commun des mortels ou encore qui est considéré comme envoyé par Dieu ou comme un exemple, et en conséquence considéré comme un chef. ». La domination charismatique est très profondément forte puisque pour Weber, elle correspond presque chez le dominé à un abandon de soi et devient avec le temps une habitude et un devoir, une norme que nulle autre norme supérieure n’est susceptible de remettre en cause. La domination légitime charismatique est ainsi une forme extrême de légitimation qui trouve néanmoins ses limites dans le fait qu’elle est plus intrinsèquement liée à la personne et moins à un système, ce qui empêche d’une certaine façon la reproduction des normes sociales correspondantes. En tous les cas, cette forme de domination et de légitimation du pouvoir montre à quel point la légitimation est intimement liée au thème de la justification du pouvoir.

2.2.3. La légitimité : un point de vue des sciences de gestion

La question de la légitimité trouve aussi intérêt auprès des sciences de gestion. Elle est associée à la notion de système normatif ou de système d’arguments dans quelques travaux de sciences de gestion. R. Laufer (cf. Laufer [1996]), dans une étude de la légitimité des décisions des dirigeants d’entreprise, fournit à ce titre un point de vue intéressant, point de vue qui s’appuie sur le concept de système de légitimité et qui ne se limite pas d’ailleurs aux seules décisions des dirigeants d’entreprise. L'auteur donne la définition suivante du système de légitimité: « On donnera le nom de système de légitimité à l'argument qui aura le pouvoir de passer pour une réponse acceptable à

verbaux constituant ce que l'on appelle "un processus de négociation." ». L'auteur s'appuie sur les apports fondamentaux de Max Weber sur la question de la légitimité. Il réalise une analyse empirico historique des systèmes de légitimité prédominants à travers les âges. Ainsi sous l'ancien régime en France, le système de légitimité est directement rattaché à la personne (le Roi) laissant apparaître le fort poids d'une légitimation charismatique et / ou traditionnelle. C'est la révolution française qui fait prendre le dessus à l'autorité rationnelle légale fondée sur la loi. Sur la période 1800-1880, c'est ainsi le droit de propriété qui suffit à justifier l'action du dirigeant. La propriété du capital et sa gestion sont confondues et l'entreprise ressemble dans la vision qu'en ont les économistes classiques de l'époque à une boîte noire Sur cette période, on peut dire que c'est la cause de l'action qui légitime l'action.

Sur la période 1880-1945, le caractère trop abstrait des théories de la concurrence pure et parfaite, les nombreuses insuffisances du marché invitent à une relative remise en question du système de légitimité rationnel légal. Remise en question toute relative puisque l'on assiste à l'apparition de la science de la mesure comme faisant partie du système de légitimité en tant qu'elle permet d'appréhender l'adéquation de l'action aux finalités. C'est désormais la finalité de l'action qui justifie l'action, preuve en est la naissance de l'Etat providence, mais également celle de l'organisation scientifique du travail de F.W. Taylor.

Aujourd'hui l'on assiste à une faillite d'à peu près tous les systèmes de légitimité possibles si bien que désormais précise l'auteur, la capacité d'un dirigeant à diriger réside dans sa capacité à produire "le système normatif dont son action a besoin" (p.30).

Dans un autre ordre d’idée, pour Pfeffer et Salancik [1978], c'est la dépendance qui est le fondement du pouvoir. La légitimation a deux fonctions:

− Convaincre que les ressources dont on dispose sont nécessaires ou importantes

− Faire admettre aux autres acteurs l'issue de la décision.

Figure 6: Mise en perspective historique des systèmes de légitimation

Ancien régime 1800-1880 1880-1945 Nos jours

Charismatique et traditionnel

Droit de propriété, Concurrence Pure et Parfaite Rationnel légal

Apparition de la

Science de la mesure Crise

Pour ce dernier, la légitimation est donc un double "appoint" au mécanisme du pouvoir fondé sur la dépendance.

Dans la suite de l’exposé, nous nous appuierons sur les apports de Laufer [1996]. Nous définirons la légitimation de la façon suivante. La légitimation d’une décision consiste en la construction d’un argumentaire permettant de justifier des choix et s’appuyant sur une prise en compte des systèmes de valeur des acteurs affectés par ces choix.

La légitimation peut s’appuyer directement sur les normes sociales des acteurs concernés ou indirectement en s’appuyant sur des systèmes de normes supérieurs.

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